20 gnage de ceux-ci, pour partial qu'il fût (ils étaient sur un champ de bataille), est infiniment précieux : ils ont approché et connu Robespierre ; ils ont de l'homme une vision concrète que la lecture de ses discours ne saurait donner ; le portrait qu'ils en tracent est vivant, façonné à l'emporte-pièce dans le métal de la Révolution elle-même ; la vigueur du trait nous a séduit. BARÈRE, son collègue au Coinité de ·salut public, rallié après avoir quelque peu hésité à la conjuration de Thermidor, dit à propos de Robespierre dans ses Mémoires (tome 1) : C'était un homme désintéressé, républicain dans l'âme ; son malheur vient d'avoir aspiré à la dictature. 11 croyait que c'était le seul moyen de comprimer le débordement des mauvaises passions. 11nous en parlait souvent à nous qui étions occupés des armées. Nous ne nous dissimulions pas que Saint-Just, taillé sur un patron plus dictatorial, aurait fini par le renverser pour se mettre à sa place ; nous savions aussi que nous, qui étions contraires à ses projets, il nous ferait guillotiner ; nous le renversâmes. Depuis j'ai réfléchi sur cet homme; j'ai vu que son idée dominante était l'établissement du gouvernement républicain, qu'il poursuivait en effet des hommes dont l'opposition entravait les rouages de ce gouvernement. Plût au ciel qu'il se trouvât actuellement dans la Chambre des Députés quelqu'un qui signalât ceux qui conspirent contre la liberté! Nous étions alors sur un champ de bataille; nous n'avons pas compris cet homme. 11 était nerveux, bilieux ; il avait une contraction dans la bouche ; il avait le tempérament des grands hommes, et la postérité lui accordera ce titre ... Billaud-Varenne, dont l'action le 9 thermidor, aux côtés de Collot d'Herbois, de Fouché et de Tallien fut assez énergique, juge les événements avec quelque recul ( Mémoires *) : Sous quels rapports [Robespierre] eût-il pu paraître coupable? S'il n'eût pas manifesté l'intention de frapper, de dissoudre, d'exterminer la représentation nationale, si l'on n'eût pas à lui en reprocher jusqu'à sa popularité même ... popularité si énorme qu'elle eût suffi, pour le rendre suspect et trop dangereux dans un État libre, en un mot s'il ne se fût point créé une puissance monstrueuse tout aussi indépendante du Comité de Salut public que de la Convention nationale elle-même, Robespierre ne se serait pas montré sous les traits odieux de la tyrannie et tout ami de la liberté lui eût conservé son estime... Si l'on me demandait comment il avait réussi à prendre tant d'ascendant sur l'opinion publique, je répondrais que c'est en affichant les vertus les plus austères, le dévouement le plus absolu, les principes les plus purs. Marc-Antoine Baudot, conventionnel régicide, dont les Notes Historiq_ues ur la période révolutionnaire et l'Empire sont pleines d'intérêt, analyse avec beaucoup de finesse la force appa- . • Cités par M. Jacob dans son recueil, Robespierrevu Par ses contemporains. BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL rente de Rob~spieri;e ~t sa faibl~sse -~éell~: .. La puissance de Robespierre était fort singulière ; elle tenait à une opinion publique erronée, à une magie de terreur, à un fanatisme révolutionnaire ; tout cela pouvait disparaître en un instant. Cette puissance était donc toute idéale. Les armées sont trop positives pour comprendre cette métaphysique. Saint-Just n'était point assez connu; sa dialectique, d'ailleurs forte et vigoureuse, ne pouvait servir qu'à un ·petit nombre de penseurs, et la vigoureuse déclamation du séide n'était point en harmonie avec l'éloquence diffuse du patron. Robespierre était donc seul. Toute sa force était en lui~ elle ne reposait sur personne, et, comme cette force isolée n'était qu'une abstraction, elle pouvait disparaître et disparut en effet au souffle de la première tempête. Pour le détruire, il ne fallait que le mesurer. · Mallet du Pan, publiciste originaire de Genève et qui fut un bon observateur des choses de la Révolution, bien qu' ennemi déclaré des Jacobins, nous laisse de Robespierre, dans ses Mémoires pour servir à l'Histoire de la Révolution Francaise, un portrait gravé à l'eau-forte : Sombre, soupçonneux, se défiant de ses meilleurs amis, fanatique atroce, vindicatif et implacable, sa vie est l'image de celle de Pygmalion, roi de Tyr, telle que Fénelon nous l'a décrite. Aujourd'hui décharné, les yeux caves, le visage livide, le regard inquiet et farouche, sa physionomie porte l'empreinte du· crime et du remords. Tourmenté de terreur, il est toujours escorté de trois sans-culottes choisis et armés jusqu'aux dents, qui l'accompagnent dans sa voiture. Revenu à sa chétive demeure, il s'y enferme, s'y barricade, n'ouvre sa porte qu'avec des précautions extrêmes. Dîne-t-il hors de chez lui, ce n'est jamais sans avoir deux pistolets sur la table, aux deux côtés de son assiette ; nul domestique ne peut se tenir derrière sa chaise; il ne mange d'aucun plat sans que l'un des convives ait mangé avant lui ; il promène un œil troublé et soupçonneux sur tout ce qui l'entoure, craint celui à qui il est obligé de se confier, voit un ennemi dans chacun de ses collègues et traîne son existence entre la terreur d'un assassinat et celle d'un empoisonnement. Les brissotins en leur temps et ses ennemis actuels l'accusent de viser à la dictature, au protectorat, même à la royauté. Ce reproche n'est pas dépourvu de vraisemblance, mais on lui donne communément trop d'extension. Robespierre aspire à rester maître, moins par ambition que par crainte. La crainte, voilà le fond et le ressort de son caractère. Connaissant les hommes avec lesquels il partage la fortune publique, témoin par l'expérience de ses prédécesseurs de la difficulté de se maintenir au sommet et d'échapper à la roche Tarpéienne, il redoute ceux auxquels il peut supposer l'effroi dont il est lui-même agité, les aspirants aux premiers grades, les agitateurs.,, les ambitieux, les hypocrites ; environné de rivaux, d'observateurs, d'hommes effrénés, et n'ayant dans le fait ni un ami dont il soit sûr, ni un partisan sur la fidélité duquel il compte, son projet fut de se défaire successivement des uns et des autres, et de régner seul pour ôter à tous le pouvoir et le droit de · régner malgré lui ... Enfin, Mme de Staël ( Considérations sur la Révolution Francaise, tome II, pp. 133-137) insiste sur l'aspect inquiétant du personnage
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