L. EMBRY plication des faux lettrés, des pseudo-intellectuels, d'autant plus butés et fanatiques qu'ils savent moins et pensent peu, d'autant plus désireux aussi de faire carrière, de se classer parmi les maîtres ou les contremaîtres. On ne connaît que trop cette forme de l'arrivisme et l'on sait qu'elle est rarement féconde; mais on la retrouve avec une virulence accrue et, disons-le sans délai, une signification bien plus haute au cœur du drame destiné sans doute à bouleverser maintenant le siècle, de la lutte qui se déroule entre les colonies d'hier et les nations colonisatrices, résignées à la retraite. Convenons qu'ici la position des universitaires français ne laisse pas d'être délicate. On s'est targué d'apporter les bienfaits des lumières en des régions d'Asie et d'Afrique sommairement jugées ignorantes et apathiques et qu'on ne voulait pas abandonner aux entreprises éducatives des missions chrétiennes. Il fallait dès lors choisir entre deux méthodes : ou bien concevoir un enseignement compatible avec les traditions et, lorsqu'elles possédaient une indiscutable valeur, les cultures indigènes; ou bien imposer à d'autres clientèles scolaires dans toute la mesure du possible ce qui était authentiquement occidental et français. L'intérêt, l'orgueil pharisaïque et l'idéalisme se confondant ici sans peine, on opta naturellement pour le second parti ; mais on ne voulut pas voir qu'il impliquait et promettait une politique d'assimilation complète. ' Dès l'instant qu'un Kabyle ou un Annamite parlent français, s'initient à nos sciences et à notre vie civique, conquièrent nos diplômes, la conclusion est irrésistible et l'on doit les traiter comme des Français. Nous n'avons pas su dégager à temps avec une suffisante ampleur les conséquences nécessaires de notre option première et nous avons ainsi rendu fatal le schisme que préparaient d'autres causes. Que les élites nationalistes soulevées contre notre autorité du Tonkin au Maroc aient été en grande partie formées dans nos écoles, il n'y a rien là que de parfaitement naturel ; elles réclament ces droits dont elles ont, grâce à l'exemple européen, senti qu'elles avaient été dépouillées. Cette situation très classique rend compte du caractère ambigu, instable, composite, des partis nationaux qui ont surgi dans toute la zone naguère colonisée; il s'y rencontre assurément des ambitieux sans scrupules, des fanatiques soucieux avant tout de venger d'anciennes humiliations, des néophytes du marxisme, des agents communistes ou des agents d'affaires, mais aussi des intellectuels qui, convertis à l'idéologie moderne, conservent une certaine sympathie pour le pays qui les en gratifia et souhaitent ne pas répudier Biblioteca Gino Bianco 7 son influence. Qui ne voit que les anciennes colonies anglaises répugnent à quitter le Com'.9 monwealth et qu'il en sera peut-être un jour des nôtres comme de celles de la vieille Espagne, devenues républicaines, mais fidèles à l'hispanisme? Si les problèmes n'étaient faussés par la menace soviétique, la crainte de périlleuses subversions et de la troisième guerre mondiale, on dirait vite conf orme3 à la justice immanente, non pas la dislocation des empires nés de la colonisation occidentale, mais de vastes réformes internes abolissant ou réduisant les différences entre les maîtres et les élèves. Un professeur d'économie politique, qui fut aussi une des vedettes du parti socialiste, disait, au moment où se développait l'agitation du néo-Destour, que tous ses étudiants tunisiens quittaient son cours pour entrer dans les prisons françaises. De telles situations jettent une lumière fort crue sur les filiations dont résulte nécessairement le sentiment. d'une lourde responsabilité. En termes d'école on peut bien dire que nous avons enseigné la liberté aux meilleurs éléments des élites indigènes; qu'on nous ait pris au mot, c'est normal ; que nombre d'universitaires se sentent engagés et tenus d'opiner selon leurs principes, on ne saurait ni s'en étonner, ni les en blâmer. Par malheur ils oublient une fois de plus que rien n'est simple et que la politique ne peut jamais se confondre avec une justice rectiligne, fille du raisonnement pur. Remonter à la source conduit à évoquer la question la plus mal famée d'aujourd'hui, celle dont, en raison de souvenirs atroces, il est à peu près interdit de parler sans passion. On entend bien qu'il s'agit du racisme auquel un professeur de Sorbonne vient précisément de consacrer tout un livre d'exorcisme en affirmant qu'il est en définitive le seul péché vraiment capital. La vigueur dans l'anathème suppose ou requiert des définitions sans équivoque. Si le racisme conduit à l'asservissement ou au massacre des races dites inférieures, alors en effet on peut se dispenser de toute discussion à son sujet, car il n'est personne qui ne le doive condamner. Mais si la négation du racisme ou de ce racisme criminel oblige à proclamer que tous les peuples se valent, que tous les hommes se valent, qu'aucune difficulté réelle ne doit naître nulle part des contacts entre des civilisations différentes, on abandonne le domaine des faits pour prêcher ou vaticiner. Nous ne sommes pas seulement en présence d'un théorème moral ou d'une affirmation de la conscience religieuse, mais aussi d'une série de situations très complexes et très différentes, un traitement spécial devant être adapté à chacune. Certes, il faut tenir largement, hardiment compte_ des •
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