Le Contrat Social - anno I - n. 5 - novembre 1957

328 rubriques simples, susceptibles de les grouper selon leurs affinités profondes et les attitudes psychologiques qu'ils supposent. J'en distingue quatre fondamentales : 1. J'appelle agôn toute compétition où l'égalité des chances est absolue au départ, artificiellement créée pour des rivaux s'affrontant dans des conditions idéales qui rendent clair et incontestable le mérite du vainqueur. C'est le cas des luttes sportives (polo, tennis, football, golf, boxe, tir,. courses, etc.) et des jeux où les adversaires disposent au début de la partie des mêmes éléments de victoire (échecs, dames, marelle, etc.). La seule inégalité peut être l'avantage du trait, car il faut bien q11e quelqu'un commence. Mais il revient alternativement à chaque concurrent. Le ressort du jeu est pour chacun le désir de faire reconnaître son excellence dans un domaine donné. L' agôn laisse le champion à ses seules ressources et l'invite à en tirer le meilleur parti possible. 2. A l'inverse, j'appelle alea tout jeu de hasard où le joueur s'en remet au destin et attend passivement un résultat qui ne dépend pas de lui. Les dés, pile ou face, la roulette, les loteries, les paris de l'hippodrome en fournissent des exemples parfaits. L' alea suppose de la part du joueur une attitude exactement opposée à celle dont il fait preuve dans l' agôn. Dans celui-ci il ne compte que sur lui ; dans l' alea il compte sur tout, excepté sur lui. Beaucoup de jeux, et parmi les plus répandus, combinent avec la poursuite de la chance l'esprit de compétition : ainsi le jeu d'oie, le jacquet, les dominos et la plupart des jeux de cartes. 3. En troisième lieu, j'appelle mimicry tout jeu où le sujet représente un personnage illusoire, où il fait croire ou se fait croire momentanément qu'il est un autre. Cette étiquette s'applique aussi bien à l'enfant qui joue à la locomotive, à l'avion, au pirate qu'à tout divertissement qui consiste dans le fa1t qu'on se trouve masqué ou déguisé. C'est à ce besoin que le Carnaval donne périodiquement une satisfaction intense et éphémère. C'est lui aussi qui, pour une part, est à l'origine de l'intérêt suscité par toute représentation dramatique. 4. Enfin, je nomme ilinx (du nom grec du tourbillon d'eau) toute tentative de détruire pour un instant la stabilité de la perception et d'infliger à la conscience lucide une sorte de panique voluptueuse. Chaque enfant, en tournant rapidement sur lui-même, connaît et provoque ce plaisir. L'extrême vitesse, la chute, la valse, le toboggan, de nombreux appareils des foires le suscitent avec une plus ou moins vive intensité. Dans tous les cas, il s'agit d'accéder à une sorte de spasme, de transe, ou • 1 d'étourdissement qui anéantit la réalité avec \}ne souveraine brusquerie. . Ces chapitres cardinaux déterminent la nature des· jeux~ A l'intê~ieur de chacun d'eux, cependant; BibliotecaGinoBianco RECHERCHES une hiérarchie identique se laisse constater. Presque toujours, le jeu semble résulter de la composition de deux tendances complémentaires, qu'il combine . en proportions variables. L'une apparaît dans l'exercice libre et insouciant d'une sorte de fantaisie improvisante, je l'appelle paidia, pour souligner que c'est le cas de nombreux jeux d'enfants ou de jeunes animaux. Elle inspire directement le plaisir du brouhaha, du vacarme ou du gribouillis. L'autre, que je désigne sous le nom de ludus, se satisfait par la résolution d'une difficult~ créée de toutes pièces, arbitraire et parfaitement improductive (bilboquet, yo-yo, baguenaude, solitaire, rébus, logogryphes, mots croisés, problèmes de bridge ou d'échecs, énigmes des romans policiers, etc.).* Ces précisions apportées, il devient possible d'examiner en première approximation l'action des principes des jeux quand ils se combinent librement, avant d'avoir abouti à des démarches fixes, réglées, convenues et limitées, c'est-à-dire avant d'être parvenus à être des jeux proprement dits. Je crois qu'une théorie élargie des jeux devrait alors considérer toutes les combinaisons possibles • • en pr1nc1pe. LES ATTITUDES élémentaires qui commandent aux jeux - compétition, chance, simulacre, vertige - ne se rencontrent pas toujours isolément. A maintes reprises, on a pu constater qu'elles étaient aptes à composer leurs séductions. De nombreux jeux reposent même sur leur capacité de s'associer .. Il s'en faut cependant que des principes si tranchés s'accordent indistinctement. A ne les prendre que deux à deux, les quatre attitudes fondamentales permettent en théorie six conjonctions également possibles et six seulement, chacune se trouvant conjuguée tour à tour avec l'une des trois autres : compétition-chance ( agôn-alea) compétition-simulacre ( agôn-mimicry) compétition-vertige ( agôn-ilinx) chance-simulacre ( alea-miniicry) chance-vertige ( alea-ilinx) simulacre-vertige ( mimicry-ilinx). Certes, on pourrait prévoir des combinaisons ternaires, mais il est visible qu'elles ne constituent presque toujours que des juxtapositions occasion-' nelles qui n'ont pas . d'influence sur le caractère des jeux où on les remarque : ainsi une course de chevaux, agôn typique pour les jockeys, est en même temps un spectacle qui, comme tel, relève de la mimicry, et un prétexte à paris, par où la compétition ,est support d' alea. Cependant, les trois domaines n'en demeurent pas moin~ relativement autonomes. Le principe de la course n'est * Ces définitions résument, reproduisent ou -complètent celles que contiennent mes deux études sur les jeux publiées réeèmment ~-«Structures et classification des jeux», Diogène, n~;JlQi;octobre 1955; « Les jeux dans le monde moderne»,. Profils, n° 13, automne 1955. ·

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==