Le Contrat Social - anno I - n. 5 - novembre 1957

Z. BRZEZINSKI comme. c'est le cas dans la plupart des pays du rideau de fer. Les ressorts du pouvoir ne sont pas tendus à l'extrême; il est tenu compte des attitudes traditionnelles de la population. Le Cardinal et l'Église ont fait beaucoup pour éviter une sanglante guerre civile - ce qui confère à l'Église comme institution un rôle politique négatif vaguement évocateur d'un système pluraliste. Dans les campagnes, le gouvernement s'efforce de se concilier la bonne volonté des habitants en s'appuyant sur son allié électoral, le Parti unifié des paysans (ZSL) ; mais récemment des inquiétudes communistes se sont fait jour : le ZSL marchait un peu mieux qu'il n'aurait fallu ! 4 Cependant, le régime repose, avant tout, sur la popularité de Gomulka et sur la crainte, le mépris et la haine des Russes. Ces deux éléments - la popularité et la haine - sont inséparables. Gomulka s'est élevé à la position qu'il occupe en devenant un symbole du refus national, face à la domination soviétique. Quant à la russophobie, elle est universelle : on la rencontre à chaque pas. L'ouvrier moyen évoque avec amertume les exploits et exploitations moscovites. Le lettré parle avec fierté du récent débat où les philosophes polonais ont marqué des points sur les académiciens soviétiques lors d'une séance houleuse à l'Académie des Sciences de Moscou ; il raconte comment le chef de la délégation polonaise, A. Schaff, communiste notoire, a, dans une réplique furibonde, dit leur fait à ses collègues russes : « Votre philosophie officielle est la risée de l'univers, et les Polonais ne vous suivront pas sur ce terrain. » Au printemps dernier, le clou d'une soirée au Piwnika (cabaret d'étudiants dont le nom signifie la « Caverne ») était la lecture - textuelle et sans commentaire - du discours de Chépilov sur les arts. Tandis qu'un des acteurs déclamait cette élucubration du fameux communiste russe (alors membre du secrétariat) toute l'audience s'esclaffait de façon méprisante. Telles sont les réactions qui fournissent au régime de Gomulka un élément d'unité, et celles qui permettent, vaille que vaille, d'en comprendre les raisons d'être. Le gouvernement Gomulka doit être considéré comme gouvernement de salut public, de défense nationale; c'est ce qu'il est aux yeux de la majorité des Polonais, majorité non communiste; un gouvernement que, pour bien des raisons politiques, ils n'aiment pas, mais qu'ils sont prêts à soutenir jusqu'au bout pour des raisons de salut public. Telle est, entre autres, la position du Cardinal; en forçant un peu les choses, on peut la comparer à celle des travaillistes anglais qui - sans oublier la grève générale de 1926 et le rôle qu'avait alors joué Churchill pour la briser - se rallièrent cependant à lui, lorsqu'il fut nommé premier ministre en une heure décisive pour l'Angleterre. Un gouvernement de salut national est provisoire par nature et n'a qu'un seul but - protéger la 4. Le ZSL est le Darti officieusement créé Dar le régime pour succéder au parti paysan polonais (PSL) dont le leader était Mikolaïczyk et qui fut dissous par le gouvernement communiste. BibliotecaGinoBianco 325 nation contre le danger extérieur (en l'espèce, le diktat et l'intervention soviétiques); dans ces conditions, on lui pardonne bien des péchés, de fait, d'intention, d'omission, et même de compromission. Tel est le cas du gouvernement de Gomulka. Si désappointés qu'aient été de nombreux Polonais par son comportement personnel au début de 1957, et si pessimistes qu'ils puissent demeurer quant à l'avenir du régime, ils tendent à présent à reconnaître que sa tâche, en fin de compte, est de consolider, dans les limites actuellement possibles, l'autonomie polonaise. A cet égard, il bénéficie d'un soutien quasi universel, bien que les opinions soient diverses quant aux voies et moyens et quant au degré de démocratisation immédiatement réalisable. De la politique à l'économie Un gouvernement de salut public est provisoire par nature. A mesure que les succès politiques de Gomulka s'effacent dans l'histoire et que l'autonomie nationale paraît moins en question, le caractère d'union sacrée de son gouvernement ne peut que s'estomper ; c'est alors que les critères économiques deviennent la mesure du jugement public. Déjà, cet été, nombreux étaient en Pologne les gens qui, pour apprécier le régime, se plaçaient sur ce terrain. Ils se montraient sensibles avant tout à l'allègement momentané résultant d'une récolte abondante, de livraisons soviétiques ininterrompues et (sur le plan du moral) de l'emprunt américain, si modique qu'en fût le montant. Or, il apparaît qu'à la longue, l'économie polonaise ne peut être tirée de sa crise actuelle sans une aide étrangère massive. D'où viendra-t-elle? C'est là qu'interviennent, d'une façon vitale pour l'avenir du pays, les calculs et les perspectives des dirigeants soviétiques. Au Kremlin, on n'est pas sans s'en rendre compte : refuser l' « aide fraternelle » à la Pologne serait déclencher une catastrophe intérieure. L'événement ne laisserait alors à Gomulka que l'alternative suivante : ou bien s'agenouiller devant Moscou pour en obtenir in extre1nis les secours nécessaires ; ou bien affronter de nouveau la situation au nom du salut national, d'où un risque de rupture ouverte avec l'Union soviétique. Étant donnée l'évolution de la situation intérieure, Gomulka n'aurait sans doute pas d'autre choix effectif que cette dernière solution. Moscou aurait alors à réagir politiquement, c'est-à-dire par la force des armes, ou à faire son deuil de la Pologne. Tout cela invite clairement à penser que la pression économique ne suffira pas par elle-même à résoudre pour les dirigeants russes le dilemme que pose la Pologne de Gomulka. Ce n'est que par une intervention politique que Moscou pourrait rétablir, dans une certaine mesure, sa domination sur le pays ; mais plus cette opération sera tardive, plus elle sera difficile. Il paraît donc plus vraisemblable que- la Ru sie, continuant à accorder son aide économique, ne recherchera en contre-partie que des avantage

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