314 (...) Le destin particulier· du communisme yougoslave fut d'unifier ces trois phases dans une seule personnalité, celle de Tito (...) Ne nous y trompons point : l'époque héroi'que du communisme est passée; l'ère des grands chefs est révolue, l'âge des praticiens a commencé. La nouvelle classe est debout; elle est au comble de la richesse et de la puissance, mais à court d'idées ; elle n'a plus rien à enseigner au peuple ; il ne lui reste qu'à se justifier devant lui. (pp. 52-53-54) Arrivée « au comble de sa puissance », la nouvelle classe dirigeante n'a d'autre avenir que son déclin. Déjà ses chefs sont médiocres et ses idées pétrifiées; ce n'est pas avec cela que l'on élargit de grands empires, ou qu'on les garde très longtemps. Les premiers signes d'un clivage à l'intérieur de la classe dirigeante apparaissent sans doute, mis en évidence par la crise idéologique ; il faut bien se rendre compte cependant que le processus de désintégration est à peine commencé. (p. 160) - Dans la perspective de Djilas, la politique poststalinienne de Khrouchtchev et le communisme national sont tous deux objectivement des symptômes de décadence, bien que subjectivement les promoteurs aient en vue un renouveau du communisme. L'un et l'autre ont ébranlé le monolithisme du monde communiste et le résultat en est le suivant : Le centre mondial de l'idéologie communiste n'existe plus; ce grand cerveau est en plein processus de désintégration ; et, à travers lui, l'unité du communisme comme mouvement mondial est incurablement atteinte, car on ne voit nulle part de possibilité pour sa restauration. (p. 183) Le communisme national L'analyse conceptuelle du « communisme national » fait l'objet d'un copieux chapitre ; c'est l'œuvre sûre de quelqu'un qui a édifié de ses propres mains l'objet de cette description; retenons donc le témoignage de Djilas sur les causes, sur l'ampleur (assez limitée) et sur l'imposture foncière des réformes titistes. L'auteur fait justice, sans même les nommer, des nombreux récits et études publiés par des étrangers qui, après un séjour de deux ou trois semaines en Yougoslavie, en sont repartis avec toute une «documentation» ad usum delphini, et en ont tiré quelques mois plus tard un livre sur « l'expérience yougoslave». Partant de l'inconnu pour aller au mal connu, ces touristes soulignent complaisamment les différences de degré entre le système titiste et le système soviétique, lequel a récemment repris à ·son compte nombre de réformes réalisées d'abord chez Tito. Dan~ son l1vre, Djilas fait l'opération exactement inverse : il décrit la ·société communiste BibliotecaGinoBianco L'EXPÉRIENCE COM_MUNIS..TE_ en généial, mais à partir d'observations tirées des réalités yougoslaves plutôt que des schémas soviétiques ; presque tous les chapitres du livre consacrés aux mœurs, idées, structures et problèmes de la nouvelle classe, prennent son propre milieu pour point de départ. La conclusion de Djilas est catégorique : autant la valeur intrinsèque et originale du communisme national est faible, autant sa portée historique est capitale: Le communisme national est une contradiction dans les termes, sa nature est celle du communisme soviétique, mais il aspire à s'en détacher pour se donner une forme nationale qui lui soit propre. En réalité, le communisme national n'est autre que le communisme à son déclin. (p. 190) Le livre de Djilas est austère et souvent abstrait ; il a été écrit, à ses risques et périls, par un ancien chef communiste qui a voulu, coûte que coûte, rendre public le fruit de ses réflexions. Il intéresse en premier lieu tous ceux qui - s'interrogeant encore sur la nature du communisme - cherchent le pour et le contre avant de prendre position. Quant à son effet immédiat sur les intellectùels ·et dirigeants communistes des deux côtés du rideau de fer, il importe de ne pas se faire trop d'illusion); les meilleurs des « repentis » ou des « renégats » du communisme, avec leurs livres troublants, brillants ou émouvants, n'ont jamais empêché le système de continuer, ses dirigeants de rester à leurs postes de commandement et ses militants de servir la cause totalitaire. Cependant Djilas apporte un élément nouveau : il est le· premier chef communiste à prédire l'écroulement de l'Empire communiste * - et cette idée a de quoi faire réfléchir un certain nombre de carriéristes du Parti et de dociles «compagnons de route». Étalez devant les stalinisés n'importe quel document illustrant les absurdités, les injustices et. les crimes de leur politique, et vous n'avez encore rien fait, car ils restent généralement inaccessibles à cette argumentation ; que le système est défectueux, cruel, foncièrement · barbare dans sa réalité quotidienne, ils le savent aussi hieµ que vous. Mais avertissez-les que leur règne risque de finir un beau jour (et même très subitement, comme on l'a vu en Hongrie) et vous introduisez chez eux un élément d'incertitude et de nervosité, aussi peu recommandable pour une classe dirigeante que pourrait l'être la mauvaise conscience. Le livre de Djilas peut avoir cet effet sur certains communistes, et ce n'est pas son moindre mérite. BRANKO LAZITCH * A vrai dire il n'a développé cette idée qu'après avoir terminé le manuscrit de son livre (écrit avant la révolution hongroise), dans un article publié par le New Leader de New-York et qui lui a valu trois ans de prison.
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