Le Contrat Social - anno I - n. 5 - novembre 1957

N .. VALENTI NO V Sur ce point comme sur bien d'autres, rien n'a paru jusqu'à présent dans la presse. Boukharine avait confié la « préhistoire » du mausolée à Riazanov et je ne l'ai pas sue directement de celui-ci, mais par personnes interposées. Les nuances de la pensée, la manière de s'exprimer des gens qui créèrent cette « préhistoire » sont extrêmement intéressantes. Il est peu probable que je réussisse à les rendre dans tout leur relief, mais je vais essayer néanmoins de caractériser, fût-ce brièvement, la position de Kalinine, de Staline, de Rykov sur cette question. TROTSKI ÉCRIT dans son autobiographie que « malgré mes protestations, un mausolée indigne de la conscience révolutionnaire et offensant pour elle a été érigé sur la place Rouge». Quand Trotski protesta-t-il? Certainement pas alors que le mausolée avec le corps embaumé de Lénine existait déjà. Il était alors trop tard et impossible de protester, et d'ailleurs au moment où ce mausolée fit son apparition Trotski n'était pas à Moscou mais à Soukhoum. Il avait protesté longtemps avant cela et il est dommage qu'il n'en parle nulle part dans ses mémoires. Voici ce que l'on peut établir d'après le récit de Boukharine. Probablement dans les derniers, jours d'octobre 1923, six membres du Politburo se réunirent, Trotski, Boukharine, Kamenev, Kalinine, Staline et Rykov. Il ne s'agissait pas d'une séance du Politburo. Zinoviev et Tomski n'y assistaient pas, on ne dressa pas de procès-verbal et aucune résolution ne fut consignée. Ce n'était qu'un entretien. Staline annonça que d'après ses informations, l'état de Lénine avait brusquement empiré au point de laisser craindre une issue fatale. Diverses considérations permettent de supposer qu'il faisait allusion à la nette aggravation constatée après le voyage qu'il fit le 19 octobre de Gorki à Moscou, d'où je conclus que la conversation eut lieu les derniers jours d'octobre ou au début de novembre. En réponse à la communication de Staline, Kalinine dit que la mort imminente de Lénine posait devant le Parti la question très importante de ses obsèques : - Il faut bien réfléchir à tout ce qui s'y rapporte. Ce terrible événement ne doit pas nous prendre au dépourvu. Si nous enterrons Vladimir Ilitch, les obsèques devront être les plus solennelles que le monde ait encore vues. BibliotecaGinoBianco 301 Staline soutint entièrement Kalinine : - Il faut en effet réfléchir à tout cela d'avance pour qu'il n'y ait aucun désarroi, pour qu'à l'heure de la grande affliction on n'ait pas à se demander ce qu'il faut faire. J'ai appris que cette question émeut beaucoup aussi certains de nos camarades de province. Ils disent que Lénine est un Russe et qu'il doit donc être enterré en conséquence. Ils sont par exemple catégoriquement contre l'incinération. A leur avis, l'incinération est tout à fait contraire à la notion russe d'amour et de vénération des morts. Elle pourrait même paraître offensante pour la mémoire de Lénine. Dans l'incinération, la destruction, la dispersion des cendres, la pensée russe à toujours vu une sorte de jugement dernier frappant ceux qui devaient ètre exécutés. Certains camarades estiment que la science contemporaine est en mesure, par l'embaumement, de conserver longtemps le corps, assez longtemps en tout cas pour permettre à notre conscience de s'habituer à l'idée que malgré tout, Lénine n'est plus parmi nous. Le discours de Staline fut long, tortueux, mais que j'en rende fidèlement le sens et la tendance, on peut en juger par la réponse que Trotski y fit avec la plus grande indignation : - C'est seulement à la fin du discours du camarade Staline que j'ai compris où voulaient en venir ces raisonnements d'abord incompréhensibles et cette insistance pour rappeler que Lénine est un Russe. On en conclut que Lénine doit être enterré à la russe. Or à la russe, selon les canons de l'Église orthodoxe russe, les saints devenaient des reliques. Apparemment on nous conseille à nous, parti du marxisme révolutionnaire, d'aller dans le même sens, de conserver le corps de Lénine. Autrefois il y avait les reliques de Serge de Radonèje et de Séraphime Sarovski, maintenant on veut les remplacer par celles de Vladimir Ilitch. J'aimerais bien savoir quels sont ces camarades de province qui, à en croire Staline, proposent de faire embaumer, à l'aide de la science contemporaine, les restes de Lénine, d'en faire une relique. Je leur dirais qu'ils n'ont absolument rien de commun avec la science du marxisme. C'est en plein accord avec Trotski et avec la même indignation que parla Boukharine. Faire de la dépouille de Lénine une momie était, selon lui, si blessant pour sa mémoire et à ce point en désaccord, en contradiction avec toute sa conception matérialiste dialectique du monde qu'il ne • A A • pouvait meme pas en etre question : - Je m'aperçois que dans je ne sais quels desseins un esprit étrange règne quelque part

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