N. VALENTINOV qui provoquaient les derniers temps des paralysies des extrémités, des troubles de la parole. Le vingt-deux janvier, à Gorki, le professeur Abrikossov, en présence de tout un concile de médecins, procéda à l'autopsie qui dura près de cinq heures. Un acte fut dressé sur l'état anatomo-pathologique du défunt. Publié immédiatement dans les journaux, il fit à beaucoup (à moi entre autres) une impression choquante. Cet acte parle de tout ce qui, à l'état de santé ou de maladie, se passait dans les organes de Lénine. Un compte rendu des plus circonstanciés est fait de tout : moelle épinière, membranes du cerveau, cœur, poumons, cavité abdominale, rate, reins, système musculaire. Il semble que jamais encore et nulle part au monde on n'ait présenté les défunts gouvernants - tsars, rois, etc. - dans une nudité aussi absolue, jusqu'au dernier détail anatomique.* Dans notre petit groupe d'amis (la << Ligue des observateurs»), un membre que j'appellerai 1 ~ juriste disait plus tard que dans la publication du compte rendu d'autopsie se manifestait une attitude grossièrement anatomico-matérialiste à l'égard de l'homme, attitude propre aux militants bolchéviks. A ce propos un autre membre, médecin, fit remarquer qu'il était naturellement important et nécessaire de rédiger un acte médical des plus explicites, mais qu'on n'aurait pas dû le publier en même temps que l'expression de sentiments d'affection, de douleur, de respect pour le disparu. Je me rappelle qu'à la rédaction de la Gazette commerciale et industrielle l'un de nos collaborateurs me parla de A • ce meme suJet: « Nous avons connu Lénine comme chef de la révolution, législateur, dirigeant du pays, dictateur si vous voulez, qui a remplacé la dynastie des tsars. Nous pouvons sympathiser avec lui ou non, c'est affaire de convictions. Mais Lénine l'homme, c'est l'être psychique ; alors quand on le dissèque devant nous, qu'on le manipule et que, ce faisant, on semble suggérer qu'il n'était que matière, qu'assemblage d'hémisphères cérébraux, d'intestins, de cavité abdominale, de cœur, de reins, de rate dans tel ou tel état, n'est-ce pas là quelque chose de bien choquant ? » Je me rappelle que ce qui, dans le compte rendu d'autopsie, retenait surtout l'attention des communistes que je connaissais n'était pas tout • Pendant la dernière maladie d'Eisenhower, le même mépris de la • personne __physiologiQue II s'est manifesté en AmériQue. La presse et la télévision, si on les avait laissé faire, auraient raconté par le menu dans Quel état se trouvaient tous les oriancs du président. BibliotecaGinoBianco 299 cela mais autre chose : le poids du cerveau de Lénine - 1.340 grammes. Le communiste Khodorov, qui donna à la fois à la Pravda et à la Gazette commerciale et industrielle un article nécrologique sur le rôle de Lénine dans les affaires chinoises, tout en pleurant sa mort m'assurait que le génie de Lé11ine était en rapport direct avec le poids, les dimensions de son cerveau. Les gens d'un gabarit ordinaire ne l'ont pas si gros, prétendait-il. Or il était connu que le poids du cerveau humain varie de 1.100 à 1.400 grammes et peut atteindre jusqu'à 2.000 grammes; ainsi, de ce point de vue, le cerveau de Lénine n'avait rien d'exceptionnel. De surcroît des médecins nous expliquèrent que si l'on tient absolument à chercher les caractéristiques d'un << cerveau génial», ce n'est nullement par son poids ou sa grosseur, mais par sa matière grise qu'il se distingue. Je rapporte ce que l'on disait à l'époque, sans discuter si c'est exact ou non. COMMENT la population réagit-elle à la mort de Lénine? Mon anti-communisme ne saurait faire de moi un faux témoin. Je dois dire que si l'on prend par exemple Moscou, l'immense majorité de la population éprouva indiscutablement à la mort de Lénine du chagrin, le sentiment d'une sorte de perte intime. Je ne parle pas du parti communiste : il doit tout à Lénine et n'aurait pas existé sans lui. Une foule de gens qui n'étaient rien sont, grâce à Lénine et à la révolution faite par lui, devenus quelque chose, se sont approchés du pouvoir, sont entrés dans la classe dirigeante, et il est parfaitement compréhensible que ces gens-là aient pleuré sincèrement, amèrement celui qui les avait tirés du néant politique. Mais le chagrin, et je n'entrerai pas ici dans ses causes et ses motifs (la question est complexe), on le sentait dans les milieux ouvriers, chez les petits employés et dans une partie de l'intelligentsia sans parti qui, depuis l'introduction de la NEP, avait commencé à travailler activement dans l'appareil soviétique. La NEP ou nouvelle politique économique, en abolissant le régime du communisme de guerre qui étouffait le pays, créa de la sympathie pour Lénine dans les milieux tout à fait étrangers à la politique. Dans l'immeuble où j'habitais, le concierge, un certain Stepan Antonovitch, était un illettré qui, vivant depuis des années dans la capitale, avait encore l'âme d'un paysan du village le plus arriéré. Prisonnier en Autriche pendant la guerre, il y passa trois ans et, dans tout ce qu'il y vit (il se trouvait près de Vienne), •
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