L'expérience • communiste UNE SOCIOLOGIE DU POUVOIR SOVIÉTIQUE par Michel Collinet ON peut se féliciter de voir paraître la traduction française de l'ouvrage de Merle Fainsod, How Russia is Ruled *. Professeur à l'Université Harvard, et attaché au Centre de Recherches sur la Russie de cette université, l'auteur laisse de côté le« marxisme-léninisme », c'est-à-dire l'affabulation théorique qui sert de couverture ou de justification aux actes des dirigeants communistes et n'aborde que par allusions les événements politiques ou économiques, les envisageant comme progrès d'une institution ou illustrations d'un comportement gouvernemental. Il consacre la majeure partie de son ouvrage à l'analyse de la machine étatique et para-étatique de l'URSS, dont il démonte et remonte soigneusement sous nos yeux les principaux mécanismes en tenant compte de leurs connexions ouvertes ' ou secretes. Les conditions d'une enquête , . serieuse LES sources soviétiques doivent être maniées avec prudence : lois et décrets n'ont ni la clarté ni le caractère exhaustif des textes occidentaux. Leurs obscurités ou leurs lacunes ne sauraient être dissipées ou comblées par la seule logique du commentateur trop habitué aux normes occidentales de la vie sociale, mais par une connaissance précise de ce que les communistes appellent la cc pratique » et qui n'est le plus souvent que de l'arbitraire. C'est trop peu de dire que l'arbitraire se glisse à travers les interstices des textes officiels du régime ; dans les actes cruciaux, il les ignore simplement. Il est fréquent aussi que le fait précède de fort loin le texte : le monopole du Parti existait dix-huit ans avant la constitution • MERLE FAINSOD : Comment l'URSS est gouvernée, Éditions de Paris, 1957, 502 pp. Biblioteca Gino Bianco stalinienne de 1936 qui le consacrait, et la déportation sans jugement, dix ans au moins avant la loi de juillet 1934. Le droit écrit n'est rien d'autre que la cristallisation d'un arbitraire coutumier, seule réalité vivante du régime. Même les statistiques, qui d'ailleurs, dans leur sécheresse, n'esquissent que le squelette d'une société, sont en URSS sujettes à caution parce que,. toujours partielles, elles ne permettent que d'aléa- • • to1res comparaisons. Enfin, il n'existe pas en Union soviétique de structure simple, linéaire. Toute institution suppose . au moins une triple hiérarchie, administrative,. politique, policière, les deux premières, ouvertes., la troisième, secrète : elle se trouve ainsi constamment «court-circuitée». Il peut se faire même que la hiérarchie administrative - c'est le cas des organes officiels de la constitution, soviet suprême., etc. - ne soit qu'une coquille vide, la hiérarchie réelle suivant la filière du Parti et, dans certains cas, celle de la police secrète. Une analyse des structures suppose donc que l'on ne néglige à aucun moment, même ·pour une disposition insignifiante ou un fait presque négligeable, cette compl'exité d'actions et de réactions qui, à tous les échelons, est la marque originale du régime totalitaire. On peut, en France, par exemple, décrire l'organisation d'une entreprise industrielle sans parler de la Sûreté Nationale ou de la politique algérienne du gouvernement. L'objet à décrire y est circonscrit et possède son dynamisme spécifique. Cela semble impossible en Russie où l'on peut appliquer ce postulat de la Gestalttheorie : «Une partie dans un tout est autre chose que cette partie isolée ou dans un autre tout » **. On doit recourir à ~e que j'appellerai par analogie une Gestaltsoziologie, dans laquelle une constatation élémentaire n'acquiert de sens qu'intégrée dans un ensemble plus vaste où s' entrepénètrent toutes les techniques, économiques, politiques et poli- ** PAUL GUILLAUME : Psychologie de la forme.
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