S. HOOK ne sont pas sans quelques points communs, glisse à cette insidieuse conclusion qu'ils ne diffèrent point essentiellement quant à leurs buts fondamentaux. Certes, leurs origines historiques les rapprochent, mais l'on en peut dire autant des origines historiques du judaïsme, de la chrétienté médiévale, de l'islam, du calvinisme, et de la morale kantienne. En telles matières, ce sont les différences qui comptent, et surtout celles dont dépend la liberté. LE FAIT que socialistes et communistes s'opposent tous deux au capitalisme ne signifie pas grand-chose, tant que n'est pas précisée la notion de « capitalisme» (les nationaux-socialistes, eux aussi - comme leur nom même le proclame - s'opposaient au « capitalisme »). Et même ensuite, l'hostilité au « capitalisme » - de quelque manière qu'on le définisse - · ne jette guère de lumière sur une philosophie sociale jusqu'à ce que l'on sache ce qu'elle propose de lui substituer. Il ne faut pas beaucoup d'acuité visuelle pour a'apercevoir qu'il y a des régimes pires que le capitalisme démocratique. L'hitlérisme est un de ces régimes et le communisme totalitaire en est un autre. Le communisme totalitaire est pire, ne serait-ce que pour cette simple raison qu'il est une forme neuve de la société de classes, plus rigide et plus oppressive que toutes celles qui se sont succédé jusqu'à présent, du moins en Occident. Cole laisse souvent entendre que le choix s'impose non pas entre les sociétés à tradition démocratique et les dictatures communistes, mais entre d'antiques structures agraires qui n'ont jamais connu la démocratie et le communisme. Même si cela était vrai, on ne voit pas comment on pourrait justifier par des raisons morales une préférence pour le totalitarisme moderne. Pourquoi devrions-nous souhaiter le remplacement des régimes agraires autoritaires par les despotismes monolithiques (qu'ils soient communistes ou fascistes) dont on connaît le système d'arbitraire policier et l'absolu mépris pour la dignité humaine? D'ailleurs le dilemme posé par Cole est un faux dilemme. La démocratie n'est pas un << tout ou rien» mais un cc plus ou moins », et la réalité c'est que, dans tous les pays où les communistes ont pris le pouvoir - que ce soit en Tchécoslovaquie ou en Chine, en Esthonie ou en Albanie - il y a aujourd'hui moins de démocratie qu'auparavant. En effet, si primitives qu'elles fussent, des institutions démocratiques fonctionnaient dans ces pays et particulièrement dans les villages; l'opposition publique aux pouvoirs existants n'était nulle part un crime capital, et souvent elle était assez largement répandue. Une certaine corruption des gouvernants, si elle était un mal, n'était cependant pas un mal sans remède, et son BibliotecaGinoBianco 245 existence passée ne peut justifier une oppression communiste pesant sur toute la société. Une chose que l'on ne devrait pas avoir à rappeler à un démocrate socialiste, c'est que là où il existe une certaine liberté de dire non, il est possible de concevoir et de présenter des solutions alternatives. Mais là où cette liberté n'existe pas, comment peut-on songer à se défaire de l'exploitation et de l'oppression qu'exerce pour son propre compte le régime communiste? Cela, G. D. H. Cole ne nous le dit pas. Ce qu'il nous dit, par contre, c'est qu'il n'y a pas lieu de désespérer des communistes - et que les socialistes devraient de meilleure grâce entrer en discussion avec ceux d'entre ces cc frères égarés » dont les croyances dogmatiques ont été tant soit peu désagrégées ces derniers temps. En fait, l'analyse que le collaborateur du New Statesman nous donne de la révolution hongroise semble n'avoir été motivée qu'indirectement par le souci qu'il a de la Hongrie en elle-même (bien que sans doute ses inquiétudes à cet égard soient authentiques et ses sentiments sincères). On y discerne plutôt un désir irrésistible de mettre à profit l'actuelle fermentation des esprits, et le mécontentement provisoire qui règne dans les rangs communistes, afin de préparer la voie à une éventuelle unité socialo-bolchévique. Or il est lassant d'avoir à signaler, une fois de plus, les dangers qui résident dans toute tentative d'établir une unité d'action avec des communistes, même désenchantés : l'histoire des tromperies et des trahisons bolchéviques aurait dû, semble-t-il, éclairer G. D. H. Cole à ce sujet. Quant à créer une organisation commune avec des membres du Parti, afin de s'entretenir avec eux des massacres de Budapest et des leçons à en tirer, cela est, évidemment aussi inutile qu'il eût été vain de chercher un terrain d'entente avec les nazis pour mettre avec eux sur le tapis les absurdités de l'antisémitisme. Si, cependant, Mr. Cole, ou quelque autre socialiste d'affiliation démocratique, tient simplement à discuter de divers problèmes avec les communistes, sans conclure avec eux de lien organique (souhait auquel ne s'oppose, bien entendu, aucune objection), qu'il me soit permis de lui proposer comme aidemémoire une récente déclaration d'Albert Camus, établissant les responsabilités de l'intellectuel à , notre epoque : Dans certaines circonstances exceptionnelles (guerre d'Espagne, persécutions et camps hitlériens, procès et camps staliniens, révolte hongroise) il ne doit laisser aucun doute sur le parti qu'il prend. Il doit se refuser surtout à émousser l'efficacité de son choix par d'astucieuses nuances ou de prudents équilibres et ne laisser aucun doute sur sa détermination personnelle à défendre la liberté. (Traduit de l'anglais) SIDNEY HOOK •
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