S. PÉTREMENT en dispose, non pas aux mains de ceux qui le constituent ... L'énergie enfermée dans une masse humaine est une force seulement pour un groupe extérieur à la masse, beaucoup plus petit qu'elle ... S'il en était autrement, il n'y aurait jamais eu d'oppression. » Au reste, Marx le savait; il l'expose brillamment à propos de l'État bourgeois, «mais il voulait l'oublier quand il s'agissait de la révolution ». Concluons cette critique de l'idée de révolution par cette parole amère : « Le mot de révolution est un mot pour lequel on tue, pour lequel on meurt, pour lequel on envoie les masses populaires à la mort, mais qui n'a aucun contenu. » UN AUTRE effet d'une espérance aveugle est la théorie marxiste des forces productives. Marx admet que les forces productives sont susceptibles d'un développement illimité. «A ses yeux, la technique actuelle, une fois libérée des formes capitalistes de l'économie, peut donner aux hommes dès maintenant assez de loisir pour leur permettre un développement harmonieux de leurs facultés ... Et surtout le développement ultérieur de la technique doit alléger davantage de jour en jour le poids de la nécessité matérielle, et par une conséquence immédiate celui de la contrainte sociale, jusqu'à ce que l'humanité atteigne un état à proprement parler paradisiaque, où la production la plus abondante coûterait un effort insignifiant ... » Il y a là ·deux points. En ce qui concerne le premier, Simone Weil montre que rien n'explique, rien ne permet d'attendre comme assurée cette brusque expansion des forces productives qui aurait lieu à la suite d'une révolution. Les bénéfices des capitalistes leur seraient ôtés pour être consacrés à la production? Mais déjà, selon Marx lui-même, la plus-value est pour les capitalistes moyen de puissance plutôt que moyen de jouissance. La plus grande partie des profits, ils l'investissent de nouveau dans la production, et cela pour agrandir l'entreprise et lui permettre de lutter contre les concurrentes. «Or ce n'est pas seulement l'entreprise, mais toute espèce de collectivité travailleuse, quelle qu'elle soit, qui a besoin de restreindre au maximum la consommation de ses membres pour consacrer le plus possible de temps à se forger des armes contre les collectivités rivales; de sorte qu'aussi longtemps qu'il y aura sur la surface du globe une lutte pour la puissance ..., les ouvriers seront exploités. » u A vrai dire, Marx supposait précisément, sans le prouver d'ailleurs, que toute espèce de lutte pour la puissance disparaîtra le jour où le socialisme sera établi ... Le seul malheur est que, comme Marx l'avait reconnu lui-même, la révolution ne peut se faire partout à la fois; et lorsqu'elle se fait dans un pays, elle ne supprime pas pour ce pays, mais accentue au contraire la nécessité d'exploiter et d'opprimer les masses travailleuses, de peur d'être plus faible que les autres nations. » « D'ailleurs, Biblioteca Gino Bianco 233 quand même la révolution éclaterait à la fois dans beaucoup de pays, est-on bien sûr que ces pays cesseraient pour autant d'être adversaires et rivaux?» Quoi qu'il en soit du premier point, le second, l'idée que les forces productives sont susceptibles d'un développement illimité, est examiné longuement par Simone Weil dans une analyse admirable où elle étudie séparément les différents facteurs du progrès technique et de quel développement chacun d'eux est susceptible. Sans doute, l'époque où furent écrites les «Réflexions », et qui était encore celle de la grande crise économique, inclinait les esprits à douter du progrès technique, à douter s'il ne se brisait pas à quelque limite infranchissable; tandis qu'actuellement, sortis de ces difficultés sans les avoir comprises, nous croyons de nouveau (pour combien de temps?) aux possibilités infinies. Cependant les remarques de Simone Weil sont toujours valables. Par exemple, elle prévoit qu'on trouvera sans doute de nouvelles sources d'énergie. « Seulement rien ne garantit que l'utilisation en exigera moins de travail que l'utilisation de la houille ou des huiles lourdes. » En effet, l'énergie atomique a été découverte depuis, mais c'est une énergie coûteuse. Plus important encore est ce qui concerne la rationalisation du travail. A ce point de vue, un progrès continu est possible, tout au moins dans l'invention. Mais il y a une limite aux économies qu'on peut faire grâce à la rationalisation, aussi bien s'il s'agit de la rationalisation dans l'espace (concentration de l'industrie, division croissante du travail, coordination croissante) que s'il s'agit de la rationalisation dans le temps (utilisation croissante de machines, c'est-à-dire de travaux déjà faits). « Depuis des années déjà, l'agrandissement des entreprises s'accompagne, non d'une diminution, mais d'un accroissement des frais généraux. » «L'extension des échanges, qui a autrefois joué un rôle formidable comme facteur de progrès économique, se met, elle aussi, à causer plus de frais qu'elle n'en évite, parce que les marchandises restent longtemps improductives, parce que le personnel affecté aux échanges s'accroît lui aussi à un rythme accéléré, et parce que les transports , . consomment une energ1e sans cesse accrue, en raison des innovations destinées à augmenter la vitesse, innovations nécessairement de plus en plus coûteuses et de moins en moins efficaces à mesure qu'elles se succèdent » De même, dans l'utilisation des machines, il peut y avoir une limite aux économies réalisées par l'emploi d'appareils nouveaux. Les révolutionnaires s'indignent quand ils voient des capitalistes refuser certaines inventions techniques, mais ils oublient de dire ((par quel miracle des innovations actuellement dispendieuses deviendraient économiquement avantageuses en régime socialiste ou soi-disant tel ». Faire à la rigueur le compte des travaux épargnés par la machine et des travaux qu'elle impose est impossible.« Il est seulement clair dans l'ensemble que plus le niveau de la technique est élevé, plus les avantages que peuvent apporter les progrès nouveaux diminuent par rapport aux inconvénients.))
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