]. CARMICHAEL s'opposant. Mais il reste stérile s'il n'est que l'expression haineuse ou complaisante de cette opposition. Il est frappant de constater à quel point le nationalisme arabe a peu de contenu en dehors du contraste à l'état pur. Le mouvement ne semble pas avoir de mobiles internes, en dehors de ses xénophobies obsessionnelles. On peut croire que, privé de son grand ressort (le ressentiment à l'égard d'Israël, de la France et de la GrandeBretagne), il s'effondrerait de lui-même par manque de but effectif à se proposer. Les visées du nationalisme arabe n'ont apparemment aucune relation avec les problèmes réels des pays intéressés - problèmes qui cependant ne sont pas minces. Ou, pour prendre les choses dans un autre sens, sa cohésion politique paraît lui être imposée de l'extérieur ; il ressemble à une substance molle qui a été pressée dans un moule et offre de la sorte un semblant de fermeté. Si l'on considère maintenant le fait que la Grande-Bretagne et la France ont toutes deux été physiquement expulsées du Proche-Orient et que l'État d'Israël n'a qu'une faible population auprès des peuples de langue arabe (son territoire n'est qu'une fraction plus minime encore - moins de la quatre-centième partie - des terres où la langue arabe est parlée), il est impossible d'éviter l'impression d'un vide constitutif au cœur même du mouvement. Le manque de contenu réel ou d'idées neuves ne diminue certes pas l'importance actuelle du nationalisme arabe en tant que facteur politique ; mais il est cependant nécessaire de tenir compte de ces lacunes. Le poids spécifique du « bloc arabe », après tout, ne résulte pas de la force inhérente aux populations qui le constituent, mais de la position stratégique qu'il occupe au ProcheOrient - et des tiraillements entre les grandes puissances. La pérennité des rivalités internationales permet aux dirigeants de quelques pays-tampons de se manifester de façon de plus en plus irresponsable. Il est évident qu'une telle situation est intrinsèquement explosive ; les succès tactiques obtenus en exploitant les conflits entre des protagonistes extérieurs ne peuvent en fin de compte remédier aux faiblesses de base qui sont celles de l'édifice national arabe. A l'islam d'aujourd'hui, comme nous l'avons indiqué, l'ardeur nationaliste des Arabes emprunte une qualité quasi-religieuse fondamentalement liée BibliotecaGinoBianco 229 à la réaction musulmane contre l'Occident. Mais si l'islam est ainsi une source de vigueur, il est aussi une source de confusion débilitante. Car la communauté musulmane n'est une communauté en aucun sens moderne du mot; elle n'offre aucun équivalent réel à la société occidentale moderne, et elle ne peut prévenir la désintégration du monde musulman en sociétés particulières poursuivant leurs fins propres (quitte à reconnaître leur « solidarité » lorsque cette attitude favorise quelque intérêt politique ou économique concret - ce qui en pratique se produit d'une façon étonnamment rare). Les chefs politiques arabes ne montrent d'ailleurs que bien peu de zèle à préciser et à valoriser pratiquement le concept nébuleux d'une « société islamique » fondée sur la théologie et les mœurs. En fait, la modernisation superficielle crée des groupes de parvenus qui ne sont que trop enclins à condamner ce qui leur apparaît comme une tradition vermoulue et démodée ; en face de l'étranger, ils se réclament de la fidélité islamique ; dans leur vie quotidienne, ils sont voués à la laïcisation et à la nationalisation des mœurs, déjà introduites dans le monde occidental depuis bien des générations. Tandis que l'islam ne fournit à l'unité arabe que des bases purement rhétoriques, l'universalisme islamique n'en entretient pas moins parmi les nationalistes arabes des rêves mégalomanes d'empire et d'hégémonie mondiale. Et cela, en dépit, et peut-être à cause même, des difficultés qui s'opposent au lancement des réformes sociales ou économiques les plus indispensables. Le nationalisme arabe contemporain tire de la religion musulmane une grande part de sa substance émotive ; tout en dédaignant des buts supraterrestres (qu'il sacrifie aux tentations matérielles de l'Occident), il doit sans doute ses ambitions extravagantes au caractère illimité de l'horizon islamique. Le « monde arabe» vit politiquement en parasite du reste de la planète depuis une longue succession d'années; voilà longtemps qu'il n'a fait aucun apport réel à sa civilisation propre, ni aux autres. Dans le concert des sociétés civilisées, il ne pourra élever la voix avec autorité que lorsque les mouvements qui l'agitent maintenant auront cessé d'obéir aux hypnotiseurs et lorsque, abandonnant les phobies déraisonnables qui le tourmentent, il aura appris à faire face aux difficultés réelles (matérielles, et peut-être également morales) des Arabes eux-mêmes. (Traduit de l'anglais) JOEL CARMICHAEL • •
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