' • L'ISLAM ET LE NATIONALISME ARABE par Joel Carmichael EN leur qualité de religions universelles, l'islam et la chrétienté s'attribuent des droits illimités sur les consciences et les personnes de leurs adhérents. Cependant, au cours des trois derniers siècles, le christianisme a été contraint d'en rabattre sérieusement de ses premières exigences, avec ce résultat que la vie religieuse en Occident se trouve restreinte à une sphère assez étroite, tandis que la nature laïque de la société est maintenant admise sans discussion. Le zèle civique national qui fit irruption dans les mœurs lors de la Révolution française y fut pour beaucoup. Il conféra leur expression politique aux tendances sécularistes qui, jusque là, s'étaient manifestées presque uniquement dans le domaine de la science et de la philosophie ; il fut l'une des forces les plus importantes qui amenèrent la séparation bien tranchée du sacré et du profane - l'un des traits qui caractérisent l'Occident ; enfin il assura la prédominance des intérêts et des sentiments liés à la cité sur les valeurs œcuméniques incarnées dans l'Église, faisant de l'État-Nation la communauté essentielle, en lieu et place du corps des fidèles. La situation de l'islam aujourd'hui ressemble fortement à celle de la catholicité médiévale : d'une part la religion musulmane exige de ses croyants un attachement qui transcende (et qui nie) les liens nationaux et séculiers ; d'autre part, elle conserve son emprise et son autorité, même sur les moins dévôts des musulmans. Pourquoi cela? Pourquoi le conflit entre l'universalisme religieux et le particularisme national, si nettement tranché à l'Ouest, l'est-il tellement moins dans les pays dits arabes? D'abord, il faut considérer que plusieurs générations, voire plusieurs siècles, ont été nécessaires en Occident pour contrebattre l'autorité de la religion chrétienne et faire prévaloir celle du Biblioteca Gino Bianco civisme national ; le nationalisme arabe, lui, s'efforce de réaliser cette évolution en l'espace d'une seule génération. Notons encore que le laïcisme occidental n'avait à compter, hors de la sphère culturelle et politique de l'Europe, avec aucun ennemi supérieur en force - l'adversaire n'étant représenté que par les éléments traditionnalistes de l'Europe même ; le nationalisme arabe voit son principal antagoniste dans une puissance extérieure, l'« impérialisme » de l'Ouest. Le nationalisme arabe, dans la mesure où il est antioccidental, fait appel à la tradition comme à un allié; s'appuyant sur un courant quasi-religieux, il mobilise le fanatisme des croyants et exploite l'hostilité de l'islam à tout ce qui n'est pas islamique. Il en résulte qu'au Proche-Orient*, les contrastes entre le nationalisme laïc et la religion œcuménique s'estompent et se dissolvent dans une lutte générale contre le monde non musulman. Cependant la contradiction subsiste entre le principe national et l'unité de la foi ; en réalité ou en puissance, elle éclate au Proche-Orient comme partout ailleurs. La différence, c'est que, 11-bas, le conflit s'est intériorisé ; il a été transféré de l'arène politique au monde mental individuel - d'où il ressurgit politiquement, mais comme un facteur extrêmement complexe. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que l'universalisme religieux se trouve aux prises dans l'ân1e arabe avec une • La terminologie géopolitique internationale comport de nombreuses incertitudes, dont la moindre n'est pas l'usaie anglo-saxon du terme Middle East pour désigner certains pays riverains de la Méditerranée orientale. Nous croyons devoir, selon l'usage établi en France, distiniucr sous les noms de Proche-Orient, Mo.ven-Orient et Extr:-111eOrient les régions resoectivement tributaires de la Méditerranée et mers adjacentes, de l'océan Indien et du Pacifique et dont la oooulation est considérée comme indéfinissablement « orientale ». D'où l'équivalence paradoxale Middle East = Proche-Orient, lorsqu'il s'agit du Liban, de la lordanie, de la Syrie, de l'Irak et, à ]'lus forte raison, d a Lybie et de l'Égypte. (N. d. 1. R.
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