130 Allemands, puis pour obtenir des Allemands qu'ils ne réclament pas la fusion des « guesdistes » et des possibilistes. Sans lui, l'entreprise eût tourné de · tout autre façon, et le rôle vraiment capital qu'il joua dans l'affaire est l'une des révélations de ce volume. D'où lui vient cette ardeur, à lui qui ne croit guère à l'utilité des congrès et que d'autres besognes, moins stériles, attendent? Mais c'est que ... ...c'est une fois de plus, la même vieille scission de l'Internationale. D'un côté les disciples de Bakounine, sous un pavillon différent mais avec tout le vieil arsenal et la vieille tactique, une bande d'intrigants et de fumistes qui tentent de plier le mouvement de la classe · ouvrière à leurs fins personnelles, de l'autre côté, le vrai mouvement de la classe ouvrière. Et c'est cela, c'est cela seul; qui m'a amené à prendre l'affaire en main aussi sérieusement... L'avantage acquis sur les anarchistes après 1873 s'est trouvé remis en question par leurs successeurs : je n'avais donc pas le choix. Maintenant que nous sommes victorieux, nous avons prouvé au monde que . presque tous les socialistes d'Europe sont «marxistes». Et d'ajouter triomphalement à l'adresse des possibilistes : « Ils se mordront les doigts de nous avoir donné ce nom » (11/6/89). La réapparition du vieil ennemi a éveillé en lui une sainte colère et ranimé une énergie juvénile. Comment les socialistes allemands pouvaientils hésiter entre les possibilistes et les « guesdistes », ou même pencher pour les premiers, quand seuls les seconds se réclamaient de Marx? C'est que Brousse et ses amis avaient un journal, des alliances politiques, tandis que le POF n'arrivait pas à faire vivre la plus modeste feuille et ne comptait dans la République aucun allié. C'est surtout que, dans l'affaire du boulangisme, l'attitude des possibilistes était claire. Ils avaient pris position contre Boulanger, et, pour le battre, recherché l'alliance des radicau.~ (repentis de leurs premiers engouements pour le brav' général) et des opportunistes. Voilà qui ne pouvait manquer de plaire aux socialistes d'Allemagne aux yeux de qui le boulangisme n'était qu'une explosion de chauvinisme et qui, comme Engels, craignaient que, de sa victoire, ne sortît un nouveau conflit franco-allemand et une réaction militariste plus brutale en Allemagne. Or - seconde révélation - l'antiboulangisme des « guesdistes » n'avait pas la même franchise. Apparemment, ils étaient à la fois contre Boulanger et contre ses adversaires, ce qui eût satisfait Engels. Mais il y avait chez eux, notamment chez Lafargue, des sympathies sinon pour Boulanger, qui n'était qu'un« vulgaire jouisseur, un bellâtre pommadé qui fait de l'œil aux dames » (5/6/88), du moins pour le boulangisme. Lafargue lui sait gré d'avoir réveillé l' « opinion publique qui, lassée, ne s'intéressait plus BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL à rien» (21/3/88)~ C'est « un véritable mouvement populaire pouvant revêtir une forme socialiste si on le laisse se développer librement ». Aussi Lafargue s'efforce-t-il d'empêcher les socialistes, dont « beaucoup ont peur du général», de« se lancer dans l'agitation antiboulangiste » (14/5/88). Libre aux Clemenceau et Cie de se compromettre en prenant part à « la campagne antiboulangiste ... menée par des banquiers juifs », et tant mieux si le boulangisme a « fourni aux possibilistes l'occasion de se compromettre [avec les républicains hostiles à Boulanger] d'une manière si grossière que bientôt ils seront considérés comme des vendus » (27/5/88). C'est un exemple à ne pas suivre. Attaquer Boulanger, c'est le placer plus haut .dans l'estime populaire : Lafargue ne démoràait pas de là, et s'il n'alla sans doute pas, comme le suggère Engels, jusqu'à « songer à une alliance ouverte ou ,. déguisée » avec le parti boulangiste (2/1/89), il était plein de sympathie pour le réveil des masses suscité par le boulangisme, pour l'opposition à la bourgeoisie que traduisait l'engouement des ouvriers pour le Général. Il caressait même l'espoir (très blanquiste) de voir les socialistes s'emparer de ce mouvement révolutionnaire à l'heure décisive. Après les élections générales d'octobre 1889, lorsqu'il s'agira de former un groupe parlementaire socialiste allié au PO F, Lafargue inclinera à y inclure deux blanquistes, Jourde et Granger, élus grâce à leur alliance avec les boulangistes (29/10/8.9). Illusion d'autant plus étrange que Lafargue fut souvent « tarabusté à cause de son internationalisme et de ses sympathies pour les Allemands » (11/5/87) et qu'il aurait dû être particulièrement sensible à la nature profonde du boulangisme telle qu'Engels la définissait : ' Cette débauche de boulangisme a une cause plus profonde : c'est le chauvinisme. Les chauvins français, après 1871, ont décidé que l'histoire devait s'arrêter jusqu'à ce que l'Alsace fût reconquise. Tout s'est trouvé soumis à cette considération. Et nos amis n'ont jamais eu le courage de s'élever contre cette absurdité. Il y avait des gaillards, au Citoyen et au Cri du Peuple, qui hurlaient avec les masses contre tout ce qui était allemand, quoi que ce fût, et nos amis ont laissé faire ... l~a conséquence logique de cette aberration patriotique des Français, c'est que les ouvriers sont maintenant les alliés du tsar, non seulement contre l'Allemagne, mais contre les ouvriers et les révolutionnaires de Russie. Ni les blanquistes, ni les guesdistes n'étaient alors tout à fait ·prêts à entendre ce langage, qui devait être repris huit ou dix ans plus tard par Jaurès, le moins m:lrxiste des socialistes français à cette époque. GÉRARD LAFERRE
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