QUELQUES LIVRES Engels et le boulangisme FRIEDRICH ENGELS, PAUL ET LAURA LAFARGUE : Co"espondance. Tome II, 1887-1890. Textes recueillis, annotés et présentés par ÉMILE B0TTIGELLI' traductions de l'anglais par PAUL MEIER. Paris, Éditions sociales, 1957, 464 pp. De 1887 à 1890, le mouvement socialiste français fut en proie à la lutte des factions qui s' exaspérait dans la fièvre du boulangisme : le second tome de la Correspondance d'Engels et des Lafargue retentit de ces querelles. Engels se trouve alors mêlé plus que jamais aux conflits parisiens, mais c'est sans joie. Il est déçu par l'incapacité des militants sur lesquels il comptait le plus, ceux qui sont groupés autour de Guesde et de Lafargue. Seule, son affection presque paternelle pour Laura Lafargue et son mari l'empêche de tancer Lafargue aussi rudement qu'il lui arrive de le faire pour Guesde, traité sans aménité de « fou » (8/10/1890). La façon dont les socialistes les plus en vue vident entre eux leurs différends - au besoin par des coups - heurte son sens de la respectabilité. C'est « se ravaler au rang de saltimbanques » que de « régler des querelles à la manière des imbéciles allemands d'avant 1848 », ce qui ne peut -manquer de donner aux étrangers (et Engels pense avant tout aux socialistes allemands) « une très triste idée des dirigeants du socialisme français » (21/3/87). Sa déception s'étend à la classe ouvrière française. Laura Lafargue lui conte-t-elle une histoire d'adultère dont les protagonistes appartiennent à « l'agglomération parisie1111e » - c'était le nom de l'organisation du Parti Ouvrier Français pour la Seine - qu'il en conclut que « la transformation de Paris en ville de luxe sous le Second Empire n'a pu manquer d'influer sur la classe ouvrière ... sur l'intelligence des masses » ( 12/ 11/87). 11 espère encore : « Tout mouvement sérieux nous débarrassera largement de cela. » Mais voici que les masses se mettent en marche pour suivre Boulanger ! Engels s'inquiète : En termes doux, Paris a abdiqué son titre de ville révolutionnaire... en pleine paix, dix-huit ans après la Commune et à la veille de la révolution probable. Personne ne peut donner tort à Bebel quand il écrit : << Les ouvriers parisiens... se sont comportés d'une façon tout simplement lamentable : leur conscience socialiste et leur esprit de classe doivent être en bien piteux état pour que 17.000 voix seulement échoient à un socialiste tandis que... Boulanger en obtient 244.000. » (4 février 1889). Engels en vient à penser que 1889 ne s'achèvera pas sans que Boulanger soit << dictateur de la France » : Il se débarrassera du parlementarisme, il épurera la magistrature sous prétexte de corruption; il aura un gouvernement à poigne et une Chambre pour rire BibliotecaGinoBianco 129 et il écrasera tous ensemble marxistes, blanquistes et possibilistes. Et alors, ma belle France, tu l'auras voulu. (7 mai 1889). Pourquoi s'obstine-t-il, juste au même moment, à faire réussir le congrès internationnal dont le PO F et les blanquistes ont proposé la réunion à Paris, pour juillet 1889, alors que visiblement ceux à qui il apporte son concours, sans lequel ils ne pourraient rien, l'irritent au plus haut point par leur indiscipline et leurs exigences - comme si le mouvement socialiste international devait graviter autour de cette poignée de militants sans troupes, qui ne lisent même pas la presse étrangère ? Mais d'abord parce que la révolution est imminente. « Cela ne pourra pas durer un an » en Russie, assure-t-il (13/4/87). « Nous voilà en plein 1847...• Le commencement de la fin de la République bourgeoise [en France] n'est pas un fait isolé. En Russie aussi, la fin semble proche. » Et en Allemagne va accéder au trône « un jeune imbécile arrogant, qui se brouillera sûrement » avec Bismarck, détruira « l'alliance actuelle entre la féodalité et la bourgeoisie », se fâchera « avec les vieux généraux expérimentés. Et alors une crise sera inévitable. Le moment critique se rapproche partout. >> (12/11/87). Aussi, si la « décadence » des ouvriers français l'irrite, il accueille avec des cris de triomphe la nouvelle que les sociaux-démocrates ont recueilli 1.341.500 voix aux élections de 1890. << Le 20 février est la date du commencement de la révolution ne Allemagne » (7 i3/90). Porté par la certitude de la révolution prochaine, Engels l'est aussi par le souci de faire triompher la doctrine de Marx. Il la préserve contre les altérations, et il reproche à un discours de Lafargue « µn vague relent des rêveries de la grève générale, cette absurdité que Guesde a gardé de sa période anarchiste >> (10/4/90). Il la défend contre les contrefacteurs, et dans une lettre à Lafargue du 27 août 1890, il rapporte le mot fameux de Marx, un mot qui était beaucoup plus qu'une boutade : Ces messieurs font tous du marxisme, mais de la sorte que vous avez connue en France il y a dix ans et dont Marx disait : << Tout ce que je sais, c'est que je ne suis pas marxiste, moi ! » (p. 407). Il reprend enfin pour elle la lutte contre ses éternels ennemis, les ennemis de Marx, les « bakouninistes » qui lui semblent réincarnés dans les « possibilistes », et c'est pourquoi il prend tant à cœur l'affaire du congrès. Deux congrès, en effet, ont été convoqués, l'un par Brousse et les possibilistes, l'autre par les guesdistes (le mot n'est pas encore de mise) et les blanquistes. Les Britanniques accordent leur participation au premier, les Belges aussi ; les Danois veulent la fusion. Les Allemands inclinent, eux aussi, à donner au congrès possibiliste leur adhé ion publique. Il faut écarter ce péril. Engels multiplie les efforts pour convaincre Liebknecht et Bebel, pour amener les Français à faire des concessions aux •
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