Le Contrat Social - anno I - n. 2 - maggio 1957

LA FRANCE ET SCIENCES DE L'HOMME ._par A. G. LA grande crise de la civilisation européenne, dont on parlait avant la guerre comme d'une éventualité prochaine ou d'un mal présent mais curable, a désormais atteint son point culminant. La catastrophe de 1940 a détruit les fondements de ce continent culturel que nous appelons Europe. C'est au milieu des ruines que la France a dû _entreprendre l'œuvre de reconstruction : ruines françaises, mais aussi, mais surtout, ruines de l'Europe entière. En effet, parmi les nations dont. le concert formait la société européenne, la France n'est pas la plus atteinte. Dans l'Occident continental, elle reste la seule puissance capable matériellement et spirituellement d'envisager l'avenir, le sien propre et celui de l'Europe. Ce n'est pas la première fois que la France se trouve au centre du problème européen. Pendant des centaines d'années, elle a été pivot, modèle, source d'inspiration. A tel point qu'on pourrait définir l'Europe des XVIIe, XVIII8 et xixe siècles comme une unité culturelle due au rayonnement français. Unité affirmée au-dessus de tous les conflits économiques, de toutes les discordes politiques - mais brisée au xxe siècle, sous nos yeux, pour faire place à un chaos tel que l'Europe, aujourd'hui, n'est plus qu'une expression géographique. L'éclipse du continent, en somme, a été précédée et accompagnée d'un déclin de l'influence française. Il y a là beaucoup plus qu'une simple coïncidence. Le rôle central de la France dans la civilisation européenne n'a pas toujours été en proportion de sa force militaire ni de ses succès politiques. Loin de là. Si l'on peut observer une relation entre la puissance extérieure et le prestige culturel de la France au siècle de Louis XIV, cette relation cesse dès le siècle suivant. L'Europe n'a jamais été plus «française» qu'au temps de Louis XV, ou so~s la Révolution et l'Empire, ou •même au BibliotecaGinoBianco Horon XIXe siècle - à des époques où la politique extérieure de la France se soldait le plus souvent par des échecs et où sa puissance relative, son poids démographique allaient diminuant. En un mot, la grandeur de la France, son rôle en Europe relèvent essentiellement de l'esprit. C'est là un fait singulier, digne d'attention puisque c'est par là que la France se différencie des autres Empires contemporains - Allemagne, Russie, ou géants du monde anglo-saxon. Leur influence tient surtout à des facteurs pondérables, dénombrables - aux millions de combattants, de producteurs et de produits, aux tonnes d'acier et de charbon, aux statistiques d'usines et d'armements. Tout au contraire, la France s'apparente plutôt aux puissances qualitatives du passé - à la Grèce antique, à l'Italie de la Renaissance. Pour reprendre sa place dans le monde, la France n'a pas besoin de surclasser physiquement les États démesurés qui se disputent aujourd'hui l'hégémoQie. Il suffit qu'elle regagne son rang - au centre de la vie spirituelle européenne. Tâche difficile et plus délicate qu'une course au pôuvoir simplement matériel, mais pour laquelle la France est q11alifiée par son passé et par le prestige de son passé ; et aussi - par les forces culturelles intactes qu'elle garde malgré tout. De cette œuvre peut dépendre la grandeur française et, en fin de compte, l'existence même d'une Europe nouvelle. L'empreinte des idées et du goût français sur l'Europe du XVII 0 au XIXe siècles, l'action exercée par la science, la littérature, l'art français, voire par les moindres modes de la vie française, leur résonance dans tous les milieux, leur prestige sur tous les plans de l'intelligence, c'est là un thème que l'on ne saurait traiter en quelques pages. Constatons seulement que le recul de l'influence française au xxe siècle a préparé ce réveil de barbarie, à l'intérieur du continent et sur ses 1 •

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