J. DE KADT g~éralisée. Car la dèuxième crainte - celle de la_puissante Russie qui, dans des circonst:ances déterminées, en viendrait malgré tout à faire usage de ses armes nucléaires - est si fo,;te que l'on n'estime possible une politique ~ondiale que si les ~usses y consentent. Tout comme le veto soviétique signifie la fin de toute politique aux Nations Unies, le « non » soviétique signifierait pour le reste du monde qu'il faut chercher une solution acceptable par les Russes. Dans cette conception, les fins de la politique mondiale sont réalisées sur le plan politique dès lors qu'un accord intervient entre Russes et Américains. Un tel accord s'avère-t-il possible, les Américains doivent s'incliner, sans quoi les Russes pourraient se sentir forcés de recourir aux armes nucléaires et la catastrophe mondiale serait inévitable. A-vrai dire, cette rationalisation des craintes et des instincts européens n'est pas totalement dépo~rvue de bon sens. En effet, dans la mesure où elle. -signifie que la politique américaine a des limites, et que l'on ne peut porter atteinte aux intérêts vitaux de• la Russie sans craindre d~ la pousser à des actes de désespoir - ce qui serait d'ailleurs aussi fatal à ce pays qu'au re_ste du monde, - un plaidoyer en faveur d'un~ politique américaine prudente et circons- ~t~, une politique qui ne soit pas guidée par l '. « arrogance de la puissance », mais uniquement par la conscience de la puissance et par uµ us.ageavisé de celle-ci, se .justifie parfaitement. Mais cela implique un examefl de chaque cas d'espèce, afin de déterminer si l'annonce par les Russes que leurs intérêts vitaux sont en jeu répond à la réalité ou relève d'un chantage. Il est possible, la crise de Cuba l'a prouvé, d'infliger un camouflet au prestige soviétique reposant sur le chantage sans porter atteinte aux intérêts vitaux de la Russie, et les Russes sont disposés à l'accepter. Ils l'ont même accepté au point de destituer l'homme politique responsable de cet échec : Khrouchtchev. Mais il ne faudrait pas en inférer qu'ils l'ont accepté jusqu'à renoncer désormais à leurs méthodes de chantage, ni en ce sens qu'ils s'abstiendront de donner à leur tour un camouflet aux Etats-Unis dans des régions, comme le Sud-Vietnam, où l'Amérique n'a pas d'intérêts vitaux directs à défendre, mais où son retrait ou l'acceptation d'un mauvais compromis revenant en fait à livrer le pays à un Etat communiste voisin, pourrait affaiblir la position des Etats-Unis dans le monde. Biblioteca Gino Bianco 3 On a dit que le conflit cubain n'avait pu être résolu de la manière que l'on sait que parce que la région en question est située dans la sphère d'influence directe des Etats-Unis. Les Soviétiques ont compris que les Américains ne pouvaient admettre une menace nucléaire dirigée de Cuba contre les Etats-Unis. Mais la présence ou l'absence des Américains au Sud-Vietnom n'étant pas essentielle à l'existence de leur pays, la poursuite de la guerre dans cette région doit les contraindre à lâcher prise. Le peuple américain finira par se lasser de supporter des charges militaires et de sacrifier ses fils pour des intérêts non essentiels. Et l'opinion tnondiale, à laquelle des sociétés ouvertes comme celle des Etats-Unis sont beaucoup plus sensibles que des sociétés fermées comme celle de la Russie soviétique, fera bien sentir aux Américains que leur présence au Sud-Vietnam suscite un tel antiaméricanisme qu'il est indispensable de décrocher si l'on ne veut être exécré partout dans le monde. Croit-on vraiment que l 'antiaméricanisme diminuerait si les Américains retiraient leurs troupes du Sud-Vietnam, livrant ainsi le pays au Vietcong et, partant, au Nord ? Non seulement on continuerait de prétendre qu'ils ont poursuivi durant toutes ces années une guerre horrible, mais on ajouterait que leur retrait ne fait que prouver la justesse de l'accusation selon laquelle ils ont mené une politique stupide et cruelle, qui a démontré de surcroît leur impuissance et le fait que leur appui n'est finalement d'aucune valeur. Les Américains devront apprendre à s'accommoder de l'antiaméricanisme, car c'est la conséquence inévitable de leur position de force. Les communistes et leurs partisans haïssent l'Amérique parce qu'elle leur barre la route qui mène à une domination mondiale. Les pays européens jadis maîtres du monde, tombés à présent au deuxième ou troisième rang, ne parviennent pas à comprendre leurs propres bévues politiques, mais traduisent leur jalousie et leur fierté blessée en une autre sorte d'antiaméricanisme, d'ailleurs tout aussi malveillant. Quant aux peuples de couleur qui, dans leur grande majorité, vivent dans les régions sous-développées, ils imputent leur impuissance aux Etats blancs en général, aux Etats-Unis en particulier, lesquels, en raison des difficultés qu'ils éprouvent à résoudre leur propre problème noir, peuvent être dépeints comme la nation raciste par excellence. Même si les Etats-Unis présentaient une société d'une perfection jamais atteinte, ces formes d'antiaméricanisme ne disparaîtraient qu'après un développement qui, poursuivi pen-
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