26 · Le premier but à atteindre était l'assassinat de Lénine. Lockhart avait insisté là-dessus : « Oui, oui, l'assassinat ! Car si Lénine réussissait à se faire libérer, toute notre affaire serait fichue. Tout le peuple de Russie suivra Lénine » 13 • Est-il besoin de souligner l'invraisemblance de telles paroles ? Lockhart ne pouvait penser que toute la Russie sui~rait Lénin~, alors qu~ les élections à la Constituante avaient prouve le contraire et que, depuis, la situation n:a~ait cessé de se dégrader au détriment des bolcheviks. Le « complot » disposait de fonds considérables. Lockhart déclara avoir déjà reçu 10 millions de roubles et il affirma à Schmiedchen que toute somme nécessaire serait aussitôt obtenue. Il ne fallait point lésiner pour soudoyer les tirailleurs lettons (qui auraient agi pour de l'argent, alors que le rouble ne valait rien et que l'on ne trouvait rien à acheter ? ). Schmiedchen et Bredis ~endirent aussitôt compte de tous ces projets à la Tchéka. Ce q?i p~rmit à D~erjinski et à Peters de préciser leurs directives. Sc~edchen proposa à Lockha~t d'établir _un cont,act direct avec le général Pool, qui comman~a~t alors a A:khangelsk, afin de di~c~ter « l~s. cond1t1ons du ~alhement aux Alliés des un1tes bolchevistes lettones qui se trou- • , , • 14 va1ent opposees a ceux-ci » . Après avoir consulté Grenard et le général Lavergne, chef de la mission militaire française à Moscou, Lockhart remit à Sc~edche~ un laissez-passer dont la revue moscovite presente la photocopie. Lockhart et Cromie n'ignoraient pas que les noms de Schmiedchen et Bredis n'étaient que des pseudonymes. Il était indispensable d'établir ce laissez-passer au vrai nom du provocateur, afin qu'il puisse, en cas de besoin, utiliser ses papiers d'officier de l'ex-armée impériale. Le messager reçut également de Lockhart des laissez-passer similaires pour deux autres tchékistes lettons qui devaient l' accompagner. Malheureusement pour la Tchéka, les événê·· ments ne permirent pas d'établir le contact avec le général Pool, et le guet-apens qu'elle prépa'rait pour les troupes alliées n'eut pas lieu. Par contre, l'opération manigancée à Moscou se déroulait favorablement. Lockhart d,.!- manda à Schmiedchen de trouver un commandant d'unité lettone favorable aux 'Anglais et capable de convaincre ses hommes de se ralliet 13. L'État soviétique ... , op. cit. 14. Ibid. BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL aux conspirateurs. Dzerjinski fut aussitôt prévenu. Le chef de la Tchéka chargea Peters de mettre la main sur un officier parfaitement dévoué au régime, qui jouerait le rôle d'un homme prêt à accepter les propositions des conjurés. Il s'agissait non seulement de préciser les projets _de ceux-ci dans tous leurs détails et d'en rendre compte en temps utile, mais aussi de se débrouiller dans les situations complexes qui ne manqueraient pas de surgir. Pour ce rôle difficile, Peters choisit Edoua.:-d Berzine, commandant d'un groupe letton spécial d'artillerie légère, alors chargé de la protection du Kremlin. Il connaissait depuis longtemps cet officier et pouvait se porter garant de son honnêteté et de son dévouement absolu. Berzine fit une excellente impression sur Dzerjinski. Sa modestie, son intelligence, son· comportement plein de dignité, tout le rendait d'emblée sympathique. On ne lui cacha pas les difficultés de la tâche; celle-ci exigeait un courage exceptionnel et une maîtrise de tous les instants. Mais rien n'ébranla la décision de Berzine. La maîtrise avec laquelle il s'acquitta de sa mission lui donnait indiscutablement le droit d'être présenté aujourd'hui au public soviétique comme un « héros positif »... Ce soin devait revenir à son compatriote G. Kurpnek 15 • Rédigée suivant le même schéma romancé que La Lame de fond de Lev Nikouline, que nous connaissons déjà, mais écrite avec beaucoup moins de talent, cette apologie d'une imposture habile complète, par maints détails savoureux, l'article un peu sec consacré au « complot des ambassadeurs » par la revue l'Etat soviétique et le droit. F ILS n'uN OUVRIER de Riga, le jeune Berzine, passionné de peinture, part pour Berlin dès sa sortie de l'école secondaire. Pendant quatre ans, il poursuit des études à l'Académie berlinoise des beaux-arts. Mobilisé dans l'armée russe dès le début des hostilités, en 1914, sa brillante conduite au feu lui vaut 15. Histoire du soldat incorruptible, parue en 1966 aux Editions Liesma, Riga, tirée à 15.000 exemplaires. L'indication des pages, dans notre texte, se rapporte à cet ouvrage. Krupnek a par ailleurs collaboré à la rédaction du film intitulé Le Complot des ambassadeurs.
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