Le Contrat Social - anno XII - n. 1 - gen.-mar. 1968

LE BILAN HU MAIN par Sidney Hook Au LENDEMAIN du 5oe anniversaire de la révolution d'Octobre, on en vient une fois de plus à s'intei;_r~gersur son sens en tant que révolution sociale. Ce sens ne se dégage d'àucun inventaire de_ s~s ré~lisations matérielles ; en effet, quelle signification leur attacher en propre, eu égard à ce qu'ont produit au cours de ce même demi-siècle, d'autres ·pa~s et d'autres régi~es ? Plu~ôt qu'~ bilan matériel, c'est un bilan humain que Je tenterai d'établir. Il est incontestable que les bolchéviks ont réussi à imposer par la violence sinon la société socialiste qu'ils avaient annoncée et qui est restée dans les limbes, du moins des transformations complexes et profondes du corps social. De quel prix les hommes ont-ils payé ces transformations, et qu'y ont-ils gagné ? Répondre n'a rien de simple, mais rien non plus d'impossible. Dès l'abord on constate que les questions qu'on est amené à se poser dans ce contexte sont parfaitement raisonnables et valables. Chacun de nous s'en pose de semblables dès qu'il se penche sur son passé - individuel ou collectif - pour s'interroger sur le bien-fondé de tel de ses actes à la lumière ce qu'il a appris depuis. Or si nous procédons à de tels examens rétrospectifs, ce n'est nullement pour déterminer si nous agirions de même aujourd'hui, mais pQ!Jr savoir si l'évé~ement nous a donné tort ou raison. Bref, le Jeu en valait-il la chandelle ? Les avantages obtenus, le triomphe de la cause, les libertés conquises valaient-ils les souffrances éprouvées, les supplices infligés, les libertés perdues ? Tel acte, tel choix peut parfaitement être justifié par ses suites (même si nous n'avons pas la moindre envie de recommencer). Contester le bien-fondé des jugements rétrospectifs Biblioteca Gino Bianco portés dans ces conditions, c'est nier la possibilité même de la sagesse ici-bas. Tout comme celle de la sottise. Pourtant les artisans de la révolution d'Octobre s'inscriraient en faux contre cette manière de raisonner. Certes Trotski, le plus brillant des marxistes-bolchéviks, termine son Histoire de la Révolution russe - œuvre de partisan, imagée à souhait - en posant précisément la question : « Les conséquences d'une révol1:1tion justifient-elles en règle générale les sacrifices qu'elle implique? » Mais c'est seulement pour passer outre aussitôt, de telles spéculations lui paraissant vaines autant que gratuites : « Autant se demander, devant les difficultés et les chagrins de l'existence, si c'est bien la peine de venir au monde. » Retenons cette comparaison entre le fait de la révolution et le fait de naître : elle est d'autant plus significative qu'elle vient sous la plume d'un révolutionnaire professionnel, voué à la destruction d'une société établie et .à l'instauration d'un monde nouveau. Ainsi, aux yeux d'un homme comme Trotski, les révolutions sont du même ordre que les phénomènes naturels soumis comme eux à des nécessités inéluc- ' tables · la raison, la volonté et le courage des homm;s n'y sont pour rien. Or une telle interprétation fait abstraction d'une différence essentielle : si les hommes ne choisissent pas de naître, ils choisissent bel et bien de se préparer à la révolte, de conspirer contre l'ordre établi. Cette même conception favorise chez les révolutionnaires le sentiment que pour tout ce qui concourt à leur cause, fût-ce l'acte le plus criminel, ils ne sont responsables qu'en partie, les circonstances étant en tout état de cause largement atténuantes. D'où encore la convie-

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