354 auffassung des Marximus (1922), la conception marxienne de l'Etat contre toute altération révisionniste, notamment contre Kelsen. Au congrès de Linz, il réclama l'insertion dans le programme de l'expression « dictature du prolétariat », à quoi Bauer objecta que cette expression avait changé de sens depuis la révolution russe. Mais pour Adler, il s'agissait toujours de dissiper les illusions du « démocratisme », qui incitaient les masses à rester « prisonnières de l'idéologie bourgeoise ». Il s'en tenait à l'analyse classique - depuis longtemps abandonnée par des rigoristes aussi peu suspects que Karl Kautsky lui-même - selon laquelle seule la « démocratie sociale » de la société sans classes méritait le nom de démocratie ; ainsi la forme bourgeoise de la démocratie, en tant qu'instrument de la domination de classe, ne pouvait prétendre à cette appellation et devait s'effacer devant la dictature du prolétariat 17 • Or, si Bauer s'opposait aux propositions d'Adler, le désaccord entre eux portait davantage sur la forme que sur le fond. C'est ainsi que Bauer - dans un autre contexte il est vrai, et en d'autres termes - dénonçait lui aussi ce qu'Adler appelait les illusions du « démocratisme » : c'était la façon de penser de « démocrates vulgaires petits-bourgeois qui préfèrent la démocratie au socialisme » 18 • Même chez un homme de l'envergure de Bauer, théorie et tactique étaient totalement imprégnées, voire en un certain sens obnubilées, par sa croyance en l'inévitabilit~ des processus historiques, en leur déroulement quasi automatique. Il estimait que l'action individuelle ne pouvait influencer les événements que durant certaines périodes, en des circonstances particulières ; dans l'ensemble, il jugeait l'histoire réfractaire à toute intervention extérieure. Certes, ceux qui ont vécu le déclin de l'expérience austro-marxiste, puis l'effondrement de la République autrichienne, devaient avoir parfois l'impression de participer à un jeu tragiquement réglé d'avance. Il n'empêche qu'en se référant sans cesse aux lois immuables de l'histoire, l' austro-marxisme nourrissait un esprit par trop fataliste d'abandon à l'inéluctable logique des événements - alors que; devant une situation désespérée, il s'agissait de la rétablir en galvanisant les éner17. Procès-verbal du congrès de 1926, pp. 269 sqq., 286 sqq. Voir aussi Max Adler: Politische oder so%ialeDemokratie - Ein Beitrag %Urso%ialistischen Er:dehung, Berlin 1926. 18. Otto Bauer : • Die Zukunft der russischen Sozialdemokratie t, ~ D,.r Kampf, déc. 1931, p. 518. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL gies. Cet accablant sentiment d'impuissance semble avoir inspiré à Bauer en 1930, lorsque l'isolement de la classe ouvrière autrichienne était déjà un fait en partie accompli, la remarque que « la révolution prolétarienne qui a détruit la monarchie n'est qu'une phase dans un processus historique qui aboutit à l'établissement d'une république bourgeoise » 19 • A l'instar de son pendant religieux, la doctrine de la prédestination, le déterminisme historique invite au pessimisme radical comme à l'action confiante et positive. En affirmant qu'il est parfaitement inutile de ruser avec les lois de l'histoire, l'un et l'autre paralysent l'initiative ; et nombre de commentaires de Bauer datant de cette époque tardive témoignent de l' acceptation amère, mais lucide, de l'inévitable. Dès 1927, par exemple, il déclarait à ses critique~ de droite et de gauche que « la reconstitution de l'appareil répressif du pouvoir bourgeois résultait inéluctablement de l'ensemble de - l'évolution sociale de l'Europe depuis 1919 » 20 • Si chez les austro-marxistes la détermination l'avait emporté sur la résignation, seraient-ils parvenus à arrêter, voire renverser, le cours des événements ? Les alternatives de· l'histoire sont toujours du domaine de la spéculati~n. Mais à ceux qui se trouvent aujourd'hui dans une situation comparable et qui s'interrogent sur les conditions de l'exercice du pouvoir, il n'est pas interdit de faire le bilan de l'expérience de leurs prédécesseurs, afin d'en dégager les données essentielles, donc durables. Or établir un tel bilan ne consiste pas à distribuer les blâmes et les satisfecit. Qui veut tirer des leçons de l'histoire - si tant est que la chose soit possible - ne peut espérer y parvenir qu'à la condition de s'abstenir de juger les hommes dans l'absolu, d'avoir raison après coup, sans pour cela renoncer à l'ambition de déterminer quels sont, en tout état de cause, dans leur principe même, les exemples à suivre et les erreurs à éviter dans le contexte contemporain. * * * S1 GRAVES qu'aient été les fautes de jugement commises, si lourdes les erreurs tactiques, le bilan de l'austro-marxisme apparaît largement positif dès qu'on s'attache à tels de ses traits essentiels, qu'il importe de dégager des 19. • Die Bourgeois-Republik in Oesterreich •, ibid., mai 1930, p. 194. 20. • Kritiker links und rechts •, ibid., oct. 1927, p. 444.
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