Le Contrat Social - anno XI - n. 2 - mar.-apr. 1967

1917 : DE FÉVRIER A OCTOBRE par David Anine L A RÉVOLUTION de février 1917 est sans conteste l'un des événements les plus controversés de l'histoire contemporaine. Vaincue, elle a soulevé beaucoup de passion, d'amertume, de récriminations mutuelles: donc d'interprétations divergentes des événements et des hommes. Qui plus est, contrairement aux dirigeants d'Octobre, qui furent à peu d'exceptions près soit broyés par la machine de la terreur, soit contraints d'obéir aux maîtres du jour, les principaux acteurs du régime de Février (devenus par la suite ses historiens et ses mémorialistes) eurent la possibilité de s'exprimer plus tard en toute liberté. Certes, la terreur stalinienne n'épargna pas les protagonistes de Février demeurés en Russie. Pour n'en citer que deux, Abram Gotz et Mark Liber, leaders socialistes très influents 1ans le soviet de Pétrograd, ne furent exécutés qu'en 1937. Les victimes parmi les dirigeants de Février furent nombreuses dans tous les partis et comprenaient des personnages aussi en vue que Soukhanov, Stiéklov et Maria Spiridonova. Cependant, de beaucoup, ce sont les bolchéviks eux-mêmes qui ont payé le plus lourd tribut de sang. En effet, parmi les bolchéviks qui avaient participé à la révolution de Février et au soulèvement d'Octobre et furent officiellement liquidés ou disparurent sans laisser de trace, il y eut non seulement la constellation de chefs bien connus, mais aussi les meneurs directs des marins, des soldats et des ouvriers. Réhabilités après le XX° Congrès du Parti, tous ces Antonov-Ovséienko, Raskolnikov, Dybenko, Podvoïski, Nevski et autres Krylenko, qui conduisirent des batailles épiBiblioteca Gino Bianco ques jusqu'à la victoire d'Octobre, subirent un sort tragique et pitoyable. Il semble que le seul personnage important de Février à avoir été épargné par le régjme soviétique et qui, de temps en temps, incite encore ses compatriotes russes émigrés à rallier leur patrie socialiste, soit le monarchiste et antisémite notoire V. V. Choulguine. Sans parler des aspects humains et autres de ce drame, il en est un que les historiens déploreront toujours. Peu d'acteurs bolchéviks de la révolution ont laissé leurs souvenirs, . . ., . ., , Jugements et 1nterpretat1ons sur ces evenements ; de ce fait, les historiens ont toujours subi, dans leur travail, un lourd handicap. Submergés sous des montagnes de matériaux filtrés et censurés, souvent dénués d'intérêt véritable, ils sont privés de documents d'une réelle valeur. A cet égard, ceux qui étudient la révolution de Février ont eu relativement de la chance. C'est dans l'émigration, où des hommes éminents du régime de Février furent contraints de se réfugier (parfois avec la connivence de Lénine), que la plupart des histoires, mémoires, notes, autobiographies, etc., furent écrits et publiés. A l'étranger, libres de toute contrainte et dégagés de toute responsabilité, ils purent à la fois raconter et interprét~r les événements auxquels ils avaient été si étroitement mêlés. Ces anciens personnages politiques, mués en historiens et mémorialistes ont, certes, plaidé pro domo sua. Leur tentative pour reconsidérer de vieilles idées et de vieux points de vue à partir de perspectives historiques nouvelles, si sincère soit-elle, ne pouvait que très rarement les libérer de la tendance à justifier leurs pro-

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