revue l,istorù1ue et criti'lue Je1 /aitJ et Jes iJéeJ Mars-Avril 1967 Vol. XI, N° 2 CINQUANTE ANS APRÈS par B. Souvarine CINQUANTE ANS APRÈS l'effondrement du tsarisme, d'où s'ensuivit spontanément la révolution russe de Février (mars) 1917, il ne reste rien d 'essentiel à révéler, rien d'important à découvrir. La documentation sérieuse abonde : outre les copieuses publications d'archives faites à Moscou et hors du pays soviétique au cours du demi-siècle, on dispose depuis cinq ans d'un important recueil en trois gros volumes, publié sous l 'égide de l'Institution Hoover par Stanford University Press : T be Russian Provisional Government, Documents selected and edited by Robert Paul Browder and Alexander Kerensky (Stanford, California, 1961 ). A quoi s'ajoute Russia and History's Turning Point, by Alexander Kerensky (New York 1965), ouvrage déjà controversé mais nécessaire à l'intelligence du drame historique de Pétrograd. De Pétrograd, car tout s'accomplit ·en quelques heures dans la capitale, les provinces n'ayant fait que suivre. La succession des événements n'était pas un enchaînement fatal de causes et d'effets. Tout pouvait tourner autrement. La meilleure preuve en est la surprise générale qui accueillit la chute de l'ancien régime dans tous les milieux sans exception, y compris ceux qui se donnaient la mission d'y travailler sans trêve. On a ironisé assez sur le témoignage optimiste de Gaston Doumergue, au retour d'une mission à Pétrograd où se tint, en janvier 1917, une conférence des· Alliés qui envisagea prématurément la mutilation des Empires centraux : selon le politicien français, à la veille de la révolution, tout allait pour le mieux chez le meilleur des partenaires de la France. Mais au m!me moment, le 22 janvier, lisant à Zürich un rapport devant de jeunes socialistes suisses, Unine admettait avec résignation : « Nous, les Biblioteca Gino Bianco ,vieux, nous ne vivrons peut-être pas jusqu'aux batailles décisives de cette révolution à venir. » Un mois plus tard, cette révolution à venir viendra surprendre Lénine et tout le· monde. Rien de plus absurde que le lieu commun suivant lequel, avec des « si » et des « mais », on pourrait prouver n'importe quoi et imaginer un autre cours de l'histoire. Tout dépend de la qualité des « si » et des « mais » qui, bien motivés, en réelle connaissance de cause et irréprochable probité intellectuelle, sont éven- .tuellement très utiles à l'appréciation historique. Il apparaît peu contestable que si la Russie impériale avait conclu à la fin de 1916 ou au début de 1917 une paix séparée avec l'Allemagne ou un armistice comme la France républicaine le fera en 1940, arguant d'être hors de combat et à bout de souffle, le cours de l'histoire eût été différent. L'Etat russe n'était pas de taille à résister plus longtemps à la terrible machine de guerre allemande. Lénine reconnaîtra lui-même : « L'incendie de la révolution s'est propagé uniquement à cause de l'ignorance et des souffrances de la Russie, à cause de toutes les conditions créées par la guerre. » Les Romanov ont péri par fidélité à leurs alliances avec la France et l'Angleterre. Le gouvernement provisoire du nouveau régime succombera en Octobre pour la même cause. . L'édifice séculaire de l'Empire s'est écroulé en un tournemain sous la poussée instinctive du peuple de Pétrograd, toutes classes confondues, et à la faveur d'une fraternisation improvisée avec les soldats, sans dirigeants, sans programme ni mots d'ordre. Aucun parti n'en pouvait s'attribuer le mérite, surtout pas celui des « révolutionnaires professionnels ». Dans son ,Histoire du parti communiste russe, recueil de conférences sans apprêt, G. Zinoviev avoue que
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