PAGES OUBLIÉES voir coµiment les hommes ont usé de tous les droits qu'ils se sont octroyés, le vote des femmes ne doit pas nous inquiéter. Que voulezvous qu'elles fassent de pire? Aux différentes phases du grand drame qui vient d'éclater, les femmes russes assistèrent non comme des figurantes impassibles, mais comme les auxiliaires empressées des hommes. Elles ont pris une part très active à l'œuvre d'affranchissement et de rénovation. Dès l'aube de la révolution, on les voit prodiguer leur dévouement, prêtes à se sacrifier. Beaucoup de figures rayonnantes émergent des milieux qui ont lutté pour la liberté. La révolution qui crie aux opprimés : « Assez d'injustice ! assez de servitude ! assez de despotisme ! » pourrait-elle dire à la femme russe : « Toi seule ne participeras pas à l'émancipation » ? La femme qui aura le droit d'agir ouvertement, librement, vaudra peut-être mieux que celle qui, sous l'ancien régime, s'appliquait, par des voies occultes, à influencer les hommes. L'Europe sert depuis longtemps de laboratoire a~x expériences poli tiques et sociales. Laissons la Russie faire, à son tour, quelques . , . petites expenences. Le premier geste de la révolution fut d'ouvrir largement les prisons politiques. Moscou a créé deux sanatoria pour ceux qui sortent des cachots humides. Les banquiers, qui hier encore n'auraient confié aucun emploi à un ancien « politique », offrent aujourd'hui des sommes considérables pour adoucir leur retour à la vie. L'amnistie ramène au bercail beaucoup de proscrits et d'exilés, et c'est un spectacle émouvant que de voir ces hommes braver les sous-marins pour rentrer au plus vite dans la patrie qui les a chassés. Pour bien comprendre et pour bien aimer son pays, il faut souvent · en franchir la frontière ; plus on a partagé ses douleurs, moins on l'oublie. Le plus morne et le plus silencieux ne peut se défendre, dans le frisson d'un soir de printemps, de rêver aux cieux lointains. . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . .. AvEz-vous REMARQUÉ avec quelle rapidité tout le monde a adhéré au nouveâu régime? Je trouve hideuse la conduite intéressée des grands-ducs. Quand les larbins ont compris qu'ils n'avaient plus rien à espérer de leurs maîtres, ils sont partis en faisant claquer les Biblioteca Gino Bianco 105 portes des palais impériaux et sont devenus républicains, comme tout le monde. Les grands-ducs ont cru digne d'eux d'étaler, dans les gazettes, les plaies intimes de la famille Romanov. C'est plus qu'inélégant. Je préfère l'attitude des prisonniers de droit commun qui, dans certaines prisons, dès qu'ils apprirent la fin de l'ancien régime, congédièrent leurs gardiens et élurent un comité de garde, après avoir expédié une dépêche d'adhésion au gouvernement provisoire. Les cellules ne sont plus fermées, car les détenus ont juré devant leurs élus de ne pas s'échapper et de mener une vie exemplaire. Ce sont ces élus qui font les emplettes en ville· sans aucune escorte 8 • Nous devons, cependant, avoir autant de confiance en eux qu'en ces tristes individus dont les noms figurent sur les listes saisies à l'Okhrana (police secrète de la sûreté) et rendues publiques. Leur rôle consistait à espionner, à provoquer des confidences et à dénoncer. Pour ne pas être soupçonnés dans leur entourage, ils jetaient le soupçon sur des honnêtes gens. Ah ! ce terrible bacille du soupçon, a-t-il fait des victimes ! J'espère qu'on publiera égalemeht les noms de ceux qui émargeaient aux budgets secrets du ministère des Affaires étrangères, des ambassades et des consulats 9 • Bourtsev, pendant son séjour à Paris, a démasqué quelques-uns de ces honteux personnages. L'atmosp~ère européenne a aussi besoin d'être purifiée des derniers vestiges du tsarisme. Donc, ambassadeurs, consuls, princesses, favorites, anciens ministres, le saint-synode - Pobédonostsev doit frémir dans sa tombe ! - tous, avec le même entrain, se détournent de celui qu'ils semblaient vénérer. Les plus irréprochables articles sont publiés par la presse qui, hier encore, exaltait les bienfaits de l'ancien régime. Des monarchistes ? Des tsaristes ? Il semble ne plus en exister. Nicolas Romanov, dans sa solitude de Tsarskoïé-Sélo, est sans doute devenu, lui aussi, républicain. Il l'avait peut-être toujours été sans le savoir ; il fallait , des circonstances exceptionnelles comme la chute de l'Empire pour le lui révéler, comme à beaucoup d'autres. Tout le monde est républicain, et puisque, grâce à la démission de Milioukov, on a su éviter la guerre civile, l'univers comptera bientôt une nouvelle république. On n'a pas encore 8. Ces pastorales n'ont pns duré longtemps. 9. Une commission spéciale publie, uu fur et à me!mrc qu'lls sont dévoUt'-11, les noms do tous les agents sec;cts, espions, provocateurs de l'ancien régime, en Russie et à l'étranger.
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