D. AN/NE recrues. En dépit de l'image quelque peu déformée qui le représente à la fois comme un être faible et un homme avide de pouvoir, il fut, dès le début, non seulement le membre le plus influent du Gouvernement provisoire, mais aussi (il donnait cette impression) l'incarnation de l'énergie et de la résolution. La croyance en l'existence de ces qualités réelles ou apparentes chez Kérenski est attestée par des hommes aussi différents que le grand-duc Serge Mikhaïlovitch ( « Kérenski conquit tout le monde »), Choulguine ( « nous rendrons la révolution moins nuisible en ayant Kérenski dans le gouvernement plutôt qu'en dehors » ), le cadet V. D. Nabokov qui, en sa qualité de directeur de la chancellerie du premier Gouvernement provisoire, était bien qualifié pour juger ses membres ( « Kérenski fut, dès le début, le personnage le plus influent du gouvernement ») et Tsérételi ( « Kérenski avait des dispositions naturelles pour un gouvernement fort ») 9 • Kérenski fut plutôt poussé (en tant que jouissant de la confiance des militaires) à prendre en main, à l'âge de trente-six ans, les plus importantes fonctions de l'Etat et des forces armées. Il devint ministre de la Guerre et commandant en chef sur l'insistance du général Alexéiev, officier le plus élevé en grade. Il n'est pas étonnant que, quoique rallié au parti s.-r., Kérenski ait commencé à se considérer comme « au-dessus du parti » et comme le chef providentiel qui pouvait le mieux réaliser l' « union sacrée » alors indispensable. Malheureusement, cette politique, la « seule possible », fut déjouée, selon Kérenski, par deux complots : l'un ourdi par Ludendorff et Lénine, l'autre par le haut commandement de l'armée, soutenu par certains chefs cadets influents et les ambassades alliées, qui utilisèrent le général Kornilov, populaire mais politiquement nul. Le régime de Février était, en dépit de ses nombreux échecs, fondamentalement solide et efficace, affirme Kérenski, selon qui la Russie révolutionnaire marchait, lentement mais sûrement, vers la guérison et la stabilité ; les municipalités et les zemstvo démocratiquement élus étaient en passe de supplanter les soviets et, si les partisans de Kornilov n'étaient pas intervenus dans cette saine évolution, le pays aurait bientôt été doté d'une Assemblée constituante et autres assises démocratiques. Une vague 9. S. P. Melgounov : Lta Journéea de mara 1917 (en ru11e), Part, 1961, pp. 105-113. Biblioteca Gino Bianco 73 d'enthousiasme patriotique souleva le pays spécialement après le putsch avorté des bolchéviks en juillet et l'attaque allemande à Tarnopol, deux actions que, pour des raisons évidentes, les conspirateurs avaient entreprises simultanément {la « double contre-offensive de Ludendorff et de Lénine », comme l'appelle Kérenski). Malheureusement, dès que les bolchéviks eurent été matés, un nouveau danger surgit, cette fois venant de la droite. Par sa mutinerie « criminelle », « irréfléchie » et « puérile », Kornilov affaiblit la démocratie et renforça les bolchéviks qui, autrement, n'avaient aucune chance de revenir à l'avant-scène politique. Devant le danger contre-révolutionnaire, le rôle des soviets et des comités de vigilance créés par eux reprenait de l'importance : ils étaient maintenant, notamment dans la capitale et les grandes villes, de moins en moins dominés par les modérés et de plus en plus par les bolchéviks et autres groupes de gauche, tels que les s.-r. de gauche et les menchéviksinternationalistes. L'idée chère à Kérenski d'une coalition de toutes les « forces vitales », laquelle supposait également la participation des cadets, fut gravement discréditée. Kérenski lui-même, en raison de son attitude quelque peu suspecte et de son indulgence envers Kornilov et ses complices, était maintenant compromis : on lui faisait moins confiance et il était en partie lâché par ses amis. Pour certains, il apparaissait comme un semi-kornilovien, pour d'autres, comme un semi-bolchéik 10 V . * * * LA MUTINERIEDE KORNILOVfut sans conteste un tournant dans la révolution de Février. Le tableau fait par Kérenski de l'état du pays après juillet et avant l'affaire Kornilov a été confirmé au fond par deux hommes qui ne lui ont pas ménagé leurs critiques : Nabokov . à droite et Trotski à gauche. Alors que le pre- _m- ier fait ressortir l'affaiblissement des soviets .après les journées de Juillet et le renforcement ·du pouvoir 11 , Trotski décrit l'isolement et l'impopularité des bolchéviks qui, contraints de devenir clandestins après juillet, furent incapables de conserver leur influence même 10. Kerensky : op. cit., pp. 341-418; Kérenski : • Politique du Gouvernement provisoire•• in Sovrémiennyé Zapiski, Paris 1930, vol. 50; Kérenski : • Tiré des souvenirs •• ibid., Paris 1928-29, vol. 37-39. 11. V. Nabokov : • Le Gouvernement provisoire•• in Arkhiv Rou,skor Revolioutdi, publié par J. v. Hessen, 2• éd., Berlin 1922, vol. 1, p. 10,
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