Le Contrat Social - anno XI - n. 1 - gen.-feb. 1967

LA « NOUVELLE GAUCHE » EN AMÉRIQUE par John Dos Passos BIENTOT CINQUANTE ANS auront passé depuis que Lénine et Trotski prirent le pouvoir dans ce qui était alors Pétrograd · et mirent sur pied le parti communiste à partir de l'aile bolchéviste de la social-démocratie révolutionnaire. Des bibliothèques entières se sont emplies de dossiers ayant trait aux actes héroïques, aux déceptions, aux échecs, aux massacres et aux famines engendrés par la volonté du parti communiste d'imposer sa théorie marxiste au genre humain. Toute personne intéressée peut consulter la documentation pour y trouver des comptes rendus clairs et précis sur la guerre civile en Russie ; sur l'aide américaine pour soulager la famine qui s'ensuivit au début des années 20 ; sur la lutte pour le pouvoir entre Trotski et Staline après la mort de Lénine ; sur les épurations staliniennes, sur l'élimination des paysans les plus capables et des nationalités minoritaires ; sur le marché passé par Staline avec Hi der pour donner le signal de la deuxième guerre mondiale ; sur l'interminable tuerie quotidienne et la destruction de toutes les valeurs imaginables de la civilisation qui suivirent la conquête communiste en Chine et au NordVietnam. Echecs marxistes LE BILAN est simple. Depuis un demi-siècle, toutes les formes que pouvait prendre la révolution marxiste ont été mises à l'épreuve. Chaque dictature communiste a engendré une misère et une dégradation plus profonde que la dernière en date. Le verbiage marxiste a dégénéré en un manteau destiné à couvrir les formes les plus brutales du despotisme perBiblioteca Gino Bianco sonnel. Les révolutions n'ont prouvé qu'une seule chose : sous une dictature terroriste suffisamment bien organisée, la révolte est impossible. Les meilleurs sont abattus. Les survivants continuent de vivre : mais l'homme finit par accepter n'importe quoi. Par l'une des plus cruelles ironies de l'histoire, c'est dans les pays communistes d'aujourd'hui que l'on trouve l'oppression des travailleurs qui horrifiait tellement Marx lorsqu'il étudiait l'industrialisme des débuts du XIXe siècle en Angleterre : des ouvriers agricoles attachés comme des serfs à leur kolkhoze, des ouvriers d'usine qui n'osent pas se mettre en grève pour obtenir de meilleures conditions de travail, la vie de chaque individu prise dans un réseau serré de tyrannie bureaucratique, toutes les valeurs humaines mises sens dessus dessous au milieu d'un brouillard de propagande trompeuse que Marx ni Engels n'avaient jamais entrevu. Pendant ce temps, les populations d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord, plus chanceuses, sont parvenues à édifier des sociétés qui fonctionnent assez bien. Malgré une démagogie à courte vue de la part de nombreux politiciens aux postes de commande, leurs gouvernements n'ont guère été en mesure, jusqu'à présent, de freiner le rendement fantastique de la production de tnasse. S'ils ont fait très peu quant au problème fondamental que, selon les enthousiastes d'il y a cinquante ans, le socialisme aurait résolu, lui - à savoir l'adaptation de l'industrie moderne aux besoins spirituels et organiques des hotnmes et des femmes qui en manipulent les rouages, - du moins ontils laissé des voies ouvertes à l'expérience et au changement.

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