Le Contrat Social - anno XI - n. 1 - gen.-feb. 1967

46 contrôle. Lui, le général de Gaulle, serait le temps venu - les sondages le démontraient amplement - élu président de la République au suffrage universel. La dernière réforme - la transformation de l'Assemblée nationale en organisme consultatif - serait (il y faisait d'avance mainte allusion) une simple formalité qui se réaliserait par référendum dès que le Parlement serait en vacances. Désormajs, entouré et servi par ses ministres, ses policiers, ses magistrats il serait l'unique détenteur d'un pouvoir enfin unifié entre les mains d'un seul homme. Monarque sans couronne par la grâce du vote populaire - vox populi, vox Dei - i] se manifesterait légalement comme le chef charismatique qu'il ne doutait point qu'il était. Enfin se renouerait la chaîne des temps ; incarné dans l'hôte de l'Elysée, le Bien commun arbitrerait les intérêts des groupes et l'on cesserait d'assister à ces rivalités éternelles où s'affrontent les citoyens, et qui ternissent l'image de la France .. Il n'y aurait plus de partis, plus de citoyens, mais le visage de la France resplendirait. Les sondages PouR que cette admirable pensée se réalisât, il suffisait que les Francais votassent confotmément aux sondages. Malheureusement, s'ils constituent une industrie lucrative et un moyen détourné de propagande politique, les sondages renseignent extrêmement mal sur l'état de l'opinion. C'est ce qu'on a déjà exposé ici il y a tout juste un an. En veut-on quelques exemples plus récents ? On lisait, le _12 juillet dernier, dans la quatorzième page du Monde, un extrait du discours fait à la Semaine sociale de Nice par M. Jacques Antoine, dirigeant de la Société française d'enquête par sondages : « Si l'on se réfère aux résultats des sondages effectués en décembre dernier, avait-il ·dit, on est tenté de conclure, à la limite, qu'ils pourraient, dans l'avenir, rem~ placer le suffrage universel lui-même. » Pour montrer et démontrer l'outrecuidance . de ce propos, il n'~st pas nécessaire de le confronter avec la réalité _àlaquelle il fait allusion (et qu'on a analysée dans l'article cité)·: il suffit, dans le même numéro de ce journal - plaisante coïncidence - de se reporter à l'éditorial. On y lit (à propos des élections du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie) : « M. Erhard vient de livrer et de perdre une bataille dont les conséquences pourraient être considérables (...). L'optimisme des chrétiens-démocrates ne manquait pas. d'arguments. Les instituts d'opinion publique l~s donnaient ga• gnants. » Biblioteca Gino Bianco· DÉBATS ET RECHERCHES Ouvrons le même journal à la date du 22 novembre .dernier. Il y est question des élections municipales d'Espagne : « Pour la première fois en Espagne un sondage d'opinion publique a été effectué avant le scrutin. Il a été réalisé d'une part par le ministère de l'Information et du Tourisme, d'autre part par une entreprise ·privée engagée par le quotidien indépendant Madrid. Les auteurs· de ce sondage sont en réalité les grands vaincus de la consultation : samedi ils pronostiquaient en effet que le nombre des votants s'élèverait respectivement à 70 % et à 67 % . En fait la victoire des candidats officiels s'appuie seulement sur le vote de 19 % du total des chefs · de famille. » Vous souriez, vous pense~ : « Cela se passe dans l'Espagne de Franco. » Mais on a montré ici que les enquêteurs de l'I.F.O.P. entendaient 60 % des Français approuver de Gaulle au moment même où moins de 24 % des électeurs votaient pour les candidats gaullistes. Nous ne sommes guère mieux traités que l'Espagne ... Les pays les plus libres et les moins corrompus ne peuvent d'ailleurs se fier aux enquêtes d'opinion publique. Prenons le Monde du 24 novembre dernier. Nous y lisons, à propos des élections danoises : « Les résultats des élections générales anticipées (...) ont déjoué sur bien des points les pronostics des experts et les sondages. » Le_s sondages, on le voit, font universellement la preuve de leur incertitude. Il reste à ceux qui les pratiquent à faire la preuve de leur bonne foi. . L'heure de vérité Qu'oN Nous PARDONNcEette digression sur les sondages. Les enquêtes d'opinion publique ont pris une telle importance dans notre vie publique qu'il faut bien, dût-on crier dans le désert, répéter que leurs résultats sont régulièrement, démentis par l'événement lorsqu~un scrutin public permet de les contrôler. Les marchands de sondages vendent de' plus_ en plus de chiffres à des gens qui dévorent n'importe quels chiffres parce qu'ils aiment les chiffres. Les chiffres les dispensent d'obsérver et de réfléchir. Peut-être y aura-t-il des historiens, un. jour, pour examiner quelles passions commerciales ou politiquçs orientent, consciemment ou non, les sondeurs. En tout cas, les historiens devront étudier_ l'influence des sondages sur les décisions des hommes politiques. On peut penser, par exemple, que les graphiques des professionnels de l'opinion publique donnaient. au chef de l'Etat une telle assurance qu'il prépara,

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