LES « QUATRE HISTOIRES» EN CHINE par Stephen Uhalley D ANS LA CHINEn' AUTREFOISl,'histoire était considérée comme une leçon démontrant le· caractère universel et immuable des principes qui gouvernent les relations sociales, une leçon écrite par l'élite littéraire, mais à la9uelle l~s ma~se~, espérait-on, prêteraient attention. AuJourd hui, l'histoire de la Chine est bouleversée pour répondre aux nouveaux principes sociaux et politiques mis en honneur par le régime. La toute dernière évolution dans cette mode de récrire l'histoire consiste en une campagne visant à transformer l'homme de la masse en historiographe et pas seulement en étudiant .de l'histoire. Cette rédaction de l'histoire confiée au peuple représente un phénomène no~veau .en Chine aussi bien qu'une nouvelle d1mens1on dans l'historiographie. Jusqu'ici, à l'exception des anciens combattants qui écrivaient leurs souvenirs sur la Longue Marche, l'exploration des temps passés était restée le domaine des historiens professionnels, même si l'orientation venait toujours du parti communiste. En Chine, pour l'historien moderne, le. problème est moins de dévoiler et de rapprocher les faits historiques que de faire cadrer l'interprétation de ceux-ci avec les e?{igencesdu Parti. Par-delà cette nécessité, il est un autre besoin, aussi spécifiquement chinois ou nationaliste qu'idéologique. L'histoire de la Chine ne doit pas seulement se modeler. .sur les. ét~pes « universelles » du matérialisme h1stor1que (partant du communisme primitif pour mettre sous les yeux du lecteur l'esclavage, ~uis la féodalité, le capitalisme et le commun1sm~); elle doit en même temps montrer que la Chine Biblioteca Gino Bianco s'est développée selon sa propre voie 1, qu'elle se présente en fait comme un modèle. Les chaînes de:}'idéologie Au COURSde leur travail, les historiens .. communistes ont été contraints de mettre sans cesse l'accent sur les problèmes du découpage de l'histoire en périodes, sur l'interprétation des rébellions paysannes, sur la formation de la nation Han, sur la nature du régime de la propriété agraire dans la Chine féodale, sur les origines du capitalisme et le rôle de l'impérialisme. Il y a une tendance marquée à mettre en relief les toutes premières et les toutes dernières périodes de l'histoire et à traiter la longue période intermédiaire - en gros, de l'an 200 avant Jésus-Christ au XIXesiècle de notre ère - avec peu d'empressement et beaucoup de prudence. Mais la période moderne recèle des dangers particuliers pour l'historien. Au fur et à mesure que les événements historiques se rapprochent, ils deviennent politiquement plus significatifs et plus délicats à traiter 2 • Plus susceptibles aussi de recevoir soudain une interprétation radicalement différente, selon les fluctuations des objectifs politiques du Parti. Dans les dernières 1. Pour une étude détaillée de cette idée, le lecteur pourra consulter Joseph R. Levenson : • Le passé fait sur mesure : l'histoire sous le gouvernement du président Mao•• in Soviet Survey, avril-Juin 1958; et Albert Feuerwerker : • L'histoire de la Chine habillée n la mode marxiste •• in American llistorical Review, Janv. 1961. 2 Cf. Harold Kahn et Albert Feuerwerlier : • L'érudition· Idéologique : la nouvelle manière d'écrire l'hi11tolrc de la Chine •• ln The China Quarterly, Londres, n° 22, avrilJuin 1965, et d'autres articles, tirés des exposés faits à une conférence sur l'historiographie en Chine tenue à Dilchey Park, près d'Oxford (Angleterre), 6-12 sept. 1964, en cours de publication in The China Quarterly.
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