Le Contrat Social - anno X - n. 2 - mar.-apr. 1966

70 de nouveau quitter Paris, mais pendant la première guerre mondiale on le retrouve dans les services russes de contre-espionnage en France 4 • ,,*.,,. LA TcHÉKAn'ignorait certes pas les exploits de Harting et consorts. Malheureusement pour elle, former un agent provocateur par les méthodes éprouvées de l'Okhrana nécessitait un travail de longue haleine. Il avait fallu plus de six années à Azev pour devenir efficace. Or, en 1921, il était urgent de neutraliser les entreprises monarchistes. Savinkov et ses socialistesrévolutionnaires étaient pratiquement réduits à l'impuissance depuis leurs échecs de 1918-19. Seuls, les Blancs de Wrangel, de Koutiépov et autres, réfugiés à l'étranger, et leurs anciens compagnons d'armes, camouflés dans le pays même, présentaient un réel danger. Il fallait donc recourir à une méthode plus expéditive : capturer en U.R.S.S. un membre important d'une conspiration monarchiste clandestine, déjà surveillée par la Tchéka, et lui donner à choisit entre une balle dans la nuque et une collaboration sincère avec la police. Le procédé avait certes été pratiqué en son temps par l'Okhrana, mais avec fort peu de succès. Il était très difficile, sauf rares exceptions, d'amener les révolutionnaires éprouvés de naguère à retourner leur veste. Ces hommes préféraient le bagne, la forteresse ou la potence, plutôt que de trahir leur idéal. En 1921, les conditians étaient fort différentes. Les conspirateurs blancs, ex-officiers, anciens fonctionnaires, anciens propriétaires terriens, ci-devant de tout acabit, membres de l'ancienne intelligentsia plus ou moins libérale, n'avaient aucune expérience du travail clandestin ni aucun idéal véritable, sinon leur haine commune des bolchéviks. Ils n'étaient nullement préparés à résister aux lavages de cerveau et aux tortures morales savamment distillées par la Tchéka. Depuis un certain temps, la Tchéka surveillait une certaine « Organisation monarchiste de Russie centrale », désignée en abrégé par ses initiales en langue russe : la M.O.Tz.R. La Tchéka avait déjà réussi à introduire un homme à elle dans une cellule de ladite organisation. Voici comment Nikouline décrit, d'après les archives de la police mises à sa disposition,_ les desseins de celle-ci à l'égard de la M.O.Tz.R. Au printemps de 1922, Dzerjinski réunit ses 4. Toutes ces données figurent dans la 1re éd, de la Grande Encyclopédie Soviétique. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL principaux collaborateurs spécialisés dans les affaires concernant les Blancs, Artouzov, Pillar 5 , Kossinov et Starov, et leur tint ce langage : - Une organisation contre-révolutionnaire, assez nombreuse et très bien camouflée, la M.O.Tz.R., travaille dans le pays. Son centre est à Moscou et elle possède des antennes à Pétrograd, Nijni-Novgorod, Kiev, Rostov-sur-le-Don, ainsi qu'au Caucase du Nord. Il est également certain qu'il existe d'autres organisations et groupements que nous ne connaissons pas encore. "La M.O.Tz.R. a établi un contact direct avec les centres dirigeants de l'émigration blanche à l'étranger et prépare avec leur appui un soulèvement contre le pouvoir soviétique. Le Guépéou doit pénétrer les desseins de l'ennemi afin de leur porter, au moment voulu, un coup écrasant. Le Comité central du Parti, auquel j'ai soumis notre documentation concernant la M.O.Tz.R., nous propose de ne pas arrêter tous les membres que nous connaissons déjà. Le Guépéou doit sans cesse surveiller l'activité de la M.O.Tz.R., afin de préciser son importance, sa structure, ses dirigeants idéologiques et pratiques, sa composition, son programme, ses buts, sa tactique ~ et ses moyens de liaison avec l'étranger. Il faut analyser le danger de cette organisation pour la République soviétique, intercepter les filières de contact avec les centres d'émigrés à l'étranger. Il faut parvenir à transformer la M.O.Tz.R. en un « hublot » à travers lequel le Guépéou pourrait avoir une notion exacte des projets tramés par l'émigration blanche (pp. 18-19). Dzerjinski indiqua alors la marche à suivre : - Il nous faut trouver un homme capable d'aider les tchékistes à s'introduire dans le noyau même de l'organisation monarchiste. Un homme qui jouisse de la confiance de ces messieurs, qui soit connu d'eux comme un monarchiste convaincu et qui puisse devenir un dirigeant de la M.O.Tz.R., tout en travaillant pour le pouvoir soviétique. Récemment, nous avons arrêté un certain Alexandre Alexandrovitch Iakouchev. C'est un spécialiste éminent de l'économie fluviale, qui a occupé avant la révolution une situation importante. Nous mons établi qu'il est non seulement hostile au pouvoir soviétique, mais qu'il est un des dirigeants de la M.O.Tz.R. L'instruction de son cas est entre les mains du camarade Artouzov et de sa section. Iakouchev est entré à notre service après une longue activité de saboteur. Il est clair qu'il n'avait commencé à travailler qu'à seule fin de camoufler son activité contre-révolutionnaire (...). Pourtant, nous avons établi que, malgré ses convictions monarchistes, il répudie les méthodes de lutte inhumaines proposées par ses compagnons. Il rejette l'intervention étrangère et déclare « placer au-dessus de tout les intérêts de la Russie ». De ce fait, il condamne le terrorisme et l'espionnage au profit de !'Entente. En même temps, il refuse catégoriquement de nous faire une confession sincère et de nous donner un seul nom. Nous ne devons pas perdre l'espoir de le faire changer d'avis, de le gagner au pouvoir soviétique (...). Pour cela, tenons secrète son arrestation. Il a été ~rêté dès son retour d'une mission à l'étranger, juste au moment de partir pour une autre 5. En réalité, le baron balte Pillar von Pilchau, rallié aux communistes. Cf. Tchéka. Données et documents recueillis par le Bureau central du parti socialiste-révolutionnaire russe, Paris 1922, p. 137.

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