56 Les thèses de Lénine postulant la nécessité de la révolution sociale conduisaient inéluctablement dans une tout autre direction. A propos du mot d'ordre de l'unité, il écrivait : « Franchement, à l'heure actuelle, je crains plus que tout cette unité factice. » Il réclamait une « lutte impitoyable· contre le social-chauvinisme », une rupture intransigeante avec les socialistes et les centristes patriotes, la fondation d'une nouvelle Internationale, la troisième 6 • ' ' Aujourd'hui, c'est Moscou qui réclame à cor et à cri l'unité du mouvement révolutionnaire international jadis prônée par la majorité de Zimmerwald. Répudiant la tactique de la scission, les Soviétiques ont même été disposés à renoncer à leur rôle de leadership doctrinal dans le mouvement communiste international afin de maintenir l'unité pragmatique des différents éléments nationaux qui le constituent. Dans un article de tête au titre bien choisi : « L'unité d'action est une exigence impérative de la lutte anti-impérialiste », en juin dernier. la Pravda adjurait les Chinois de cesser leurs attaques idéologiques et de combattre au coude à coude, « malgré l'existence de désaccords sur la ligne politique et sur de nombreux et importants problèmes de théorie et de tactique » 7 • Dans l'article publié à l'occasion de l'anniversaire de Zimmerwald, le même journal souligne de nouveau la nécessité de l' « unité d'action », de peur que « les bombes atomiques ne commencent à tomber » 8 • Ceux à qui ces discours s'adressent ont fait la sourde oreille. Les Chinois, non contents de continuer à critiquer le « révisionnisme » soviétique, s'efforcent de poser les fondations d'une nouvelle Internationale. Depuis 1963, ainsi que la « lettre ouverte » adressée par le parti soviétique en juillet 1963 les en avait accusés, les Chinois fomentent la scission des partis communistes et la formation de groupes dissidents antirévisionnistes dans divers pays 9 • Des éditions de Pékin-Informations en plusieurs langues et la naissance d'un nouveau mensuel, Révolution, publié à Paris avec des fonds chinois pour être distribué largement dans les régions sous-développées, vont de pair avec l'activité des postes diplomatiques chinois qui font valoir la « ligne » chinoise non seulement parmi les révolutionnaires des pays sous-développés, mais également dans les partis commu6. Recueil Lénine, vol. II, pp. 231-32 et 235-37; Lénine: Œuvres, vol. XXIX, Moscou 1937, p. 189. 7. Pravda, 20 Juin 1965. 8. Ibid., 5 sept. 1965. 9. Ibid., 14 Juillet 1965. BibliotecaGino Bianco -•~ MATÉRIAUX D'HISTOIRE nistes de l'Occident. En octobre 1963, le directeur adjoint du service de propagande du P.C. chinois déclarait dans un discours prononcé à Pékin (et publié deux mois plus tard) que la scission des partis communistes à direction révisionniste était une « loi inexorable » du marxisme 10 • UNE COMMISSION de sept membres désignée par la conférence de Zimmerwald pour rédiger un manifeste exprimant l'unanimité des participants enfanta trois projets différents : l'un préparé par Radek, au nom de la gauche zimmerwaldienne ; l'autre par Léon Trotski ; le troisième, enfin, par la délégation allemande. Après examen des trois variantes, la commission chargea Robert Grimm, socialdémocrate suisse, et Léon Trotski, de rédiger le texte définitif. Celui-ci fut pratiquement identique au projet de Trotski. · La position « centriste » prise par Trotski avant et pendant la conférence le qualifiait parfaitement pour cette tâche. Tout en étant d'accord avec la gauche sur de nombreux points, il refusait de souscrire au défaitisme révolutionnaire de Lénine car, disait-il, il était de l'intérêt du socialisme que la guerre se terminât « sans vainqueurs ni vaincus ». Pour lui, les différends qui s'étaient fait jour à la conférence devaient être surmontés et l'unanimité devait se faire pour condamner la guerre. En même temps, cependant, il aurait aimé que le texte final préconisât le refus des crédits de guerre, et avec Henriette Roland-Helst il fit une tentative en ce sens. Lorsqu'il devint évident que cette proposition « pouvait compromettre jusqu'à un certain point le succès de la conférence », Trotski et sa camarade néerlandaise la retirèrent « à leur corps défendant » 11 • Le manifeste de Zimmerwald retenait la thèse selon laquelle la guerre était le résultat de « l'impérialisme, des efforts des classes capitalistes de chaque nation pour satisfaire leur appétit de profit par l'exploitation du travail de l'homme ». Lorsque les gouvernements éapitalistes disent que « la guerre est menée pour la défense nationale, la démocratie et la liberté des nationalités opprimées, ils mentent ! ». L'Internatâonale socialiste n'avait « tenu aucun compte des obligations » qui découlaient de ses congrès d'avant guerre tenus à Stuttgart, Copenhague et Bâle. Au lieu de quoi, Jes partis 1O. Voir les détails dans R. Lowenthal : • The Prospects for Pluralistic Comrnunism •, in Dissent (New York), hiver 1965, p. 116. 11. Gankin et Fisher, op. cit., p. 334. r
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