2 s'agissait ni de culte ni de personnalité, mais de mensonge, d'injustice, de violence et d'absolutisme. Il va de soi que des hommes de réelle stature comme Marx, Engels ou Lénine n'avaient que faire de courtisans et d'adulateurs. Mais les comédiens du « marxisme-léninisme » ne s'en avisèrent qu'en 1953 pour les besoins de leur cause particulière, quitte à n'en tenir aucun compte dans la prédication de leur dogme. Nous disons « en 1953 », peu après la mort de Staline, car il est faux que la dénonciation du « culte de la personnalité » date du discours secret de 1956 et qu'elle soit à inscrire au crédit exclusif de Khrouchtchev, comme une soviétologie aberrante tend à le faire croire. Elle fut décidée par la direction du Parti et de l'Etat dans son ensemble avant les dissensions qui surgirent non sur le principe, mais sur les modalités d'application. Au lendemain des obsèques du despote, le nom de Staline s'effaça peu à peu de la presse où il avait fourmillé chaque jour. On cessa brusquement de se référer tant à sa prose qu'à son exemple. Personne n'écrivit de souvenirs à son propos ni de contributions biographiques. Ses livres, ses brochures disparurent des librairies comme par enchantement, ses portraits se raréfièrent. La décision était donc prise en haut lieu d'en finir avec le « culte », et prise nécessairement par la direction collective. Détail significatif : dès le 12 mars 1953, donc trois jours après les obsèques, une nouvelle édition rectifiée, épurée de toute courtisanerie staliniste, du. gros Dictionnaire de la langue russe d'Ojegov commençait à sortir des presses. A ce moment la prééminence de Khrouchtchev au Comité central sélectionné par Staline et ses séides, s'est déjà dessinée, car le communiqué officiel des trois organes supérieurs du pouvoir réunis en séance extraordinaire le 6 mars dit « indispensabl(:) 1 que Khrouchtchev se concentre sur le travail au Comité central », sans mentionner Malenkov en tant que membre du Secrétar!at. Comme président de la Commission des obsèques, Khrouchtchev avait parlé le premier au mausolée de la place Rouge le 9 mars, mais seulement pour donner la parole successivement à Malenkov, à Béria, à Molotov. La situation au sommet du Parti demeura indécise jusqu'au 14 mars, à en croire la Pravda du 21 mars qui, avec un retard de sept jours, publiait un ·nouveau communiqué officiel annonçant que Malenkov avait été, sur sa demande, « libéré » de ses fonctions au Secrétariat, et nommant Khrouchtchev en tête de la liste non alphabétique, donc hiérarchique, Biblioteca Gino Bianco . ,. LE CONTRAT SOCIAL -✓ des secrétaires. Si les péripéties de cette affaire, du 6 au 14 et du 14 au 21 mars, restaient obscures, une chose devint claire : Malenkov était délogé du Secrétariat, non sans résistance. opiniâtre, Khrouchtchev promu à sa place... C'est ce que la soviétologie vulgaire, unanime, interpréta comme l'élévation de Malenkov à l'autorité suprême, qu'il venait de perdre, alors que ses collègues l'avaient kicked upstairs (comme président du Conseil des ministres) dans l'appareil constitutionnel subordonné au Parti, mais en le privant de son poste principal. Toute une littérature circonstancielle et trompeuse de ce temps sur « l'heure Malenkov » ou « l'ère Malenkov » ne tarda pas à s'avérer dérisoire 8 • LE RAPPEL apparemment fastidieux de ces faits précis est rendu nécessaire par l'in- ~ . conséquence de la politique des Occidentaux vis-à-vis de l'impérialisme communiste, politique aussi aveugle devant Khrouchtchev que devant Staline, sous l'influence d'habitudes mentales routinières et d'une funeste soviétologie admise. De la méconnaissance des rudiments ont résulté lès paralogismes courants sur la menace de guerre nucléaire d'initiative soviétique, sur l'antagonisme entre !'Armée et le Parti avec le danger bonapartiste qu'il comporte, sur la différenciation des communistes en staliniens belliqueux et libéraux pacifistes, sur la pseudo-compétition économique entre l'Est et l'Ouest, sur tant d'autres fariboles moins voyantes. Mais pour commencer ici par un commencement, le rappel des faits précis prouve qu'une direction collective s'est instaurée à Moscou dès la mort de Staline, qu'elle a aussitôt réformé l'état des choses et des gens au sommet du Parti, imposé Khrouchtchev à la place de Malenkov, amorcé la répudiation du culte de Staline afin de se perpétuer ellemême sous le couvert du culte de Lénine. En septembre 1953, quand Khrouchtchev sera nommé « premier Secrétaire », pseudonyme de « Secrétaire général », cela ne fera que confirmer une situation déjà acquise. Entre-temps, la . direction collective s'était manifestée· comme telle en liquidant Béria et sa clique, opération qui dut exiger l'unanimité du Présidium, et à cette occasion déjà la Pravda du 10 juillet 1953 avait exhumé la phrase de Marx réprouvant le ·culte de la personnalité, citation qui allait figurer trois ans plus tard. 3. Pour plus d'explications et de détails, cf. • La succession de Staline », in Est et Ouest, n ° 295, Paris, 1er mars 1963.
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