revue historique et critique JeJ /aitJ et Jes iJéeJ Janv.-Fév. 1966 Vol. X, N° 1 AINSI PARLA. KHROUCHTCHEV par B. Souvarine D rx ANS ont passé depuis que Khrouchtchev, au XXe Congrès de son parti, a prononcé (25 février 1956) le discours secret qui déchirait en quelque mesure et en quelques endroits le voile épais recouvrant le régime soviétique sous Staline. Discours moins secret en Occident, où plusieurs éditions l'ont fait connaître en plusieurs langues, que dans l'Union soviétique où il n'a jamais été publié, où des lectures monotones à haute voix et à la va-vite exclusivement réservées sauf rares exceptions, aux membres du ' . Parti plus ou moins· hébétés, ne tenaient pas lieu d'examen attentif et assimilable. A la question bientôt posée : « Pourquoi ne publiezvous pas le discours de Khrouchtchev ? », Mikoïan répondit : « Il est trop tôt 1 • » Dix ans ont passé, et il est encore trop tôt, paraîtil pour accorder aux peuples de l'Union soviétique, à cette « avant-garde » de l'humanité << progressiste », le droit de lire un texte communiste officiel qui met en cause leur passé, leur présent, leur avenir. Dans le monde capitaliste c'est seulement la presse « bourgeoise » ' . . qui a donné, en tout ou en parue, une version quelque peu expurgée à Mosco~ du disco1:1r.s prononcé à huis clos et communiquée aux dtrigeants de certains partis communistes étrangers à titre confidentiel. Khrouchtchev ne se gêna pas pour démentir sans ~ergogne ce. qu'il définissait comme une forgerie des services secrets 1. Louit Fltcher : Retour à Mo,cou, PariK 1057. Biblioteca Gino Bianco américains, lesquels ne s'attendaient sans doute guère à subir un si grand éloge. Même expurgé quelque peu, le discours secret foisonnait de vérités partielles qui, lues avec l'application et l'intelligence nécessaires, condamnent sans rémission le régime soviétique tout entier, de la base au sommet, dans sa théorie comme dans ses pratiques. Il mérite d'être relu périodiquement pour remémorer ce qu'il contient de vrai dans un contexte encore imprégné de mensonge. A son corps défendant, et pour qui sait lire, Khrouchtchev a fait table rase des mythes et fictions qui, dans l'esprit public abusé par une propagande intense et incessante que rien de sérieux ne contrecarre, composent le tableau de l'Etat pseudo-socialiste en passe de parachever le communisme. Au mensonge du génie bienfaisant de Staline, le discours désormais fameux en substitue un autre, celui du << culte de la personnalité » qui encombre toute l'idéologie post-stalinienne jusqu'à nos jours. Ayant besoin d'une formule passe-partout pour escamoter la réalité authentique et mettre en usage une abstraction inoffensive, les mentors du Parti ont adopté un cliché à l'appui duquel une brigade de mandarins aux gages découvrit opportunément une phrase de Marx dans sa volumineuse correspondance 2 • Une phrase d'Engels servit à compléter la justification doctrinale. En réalité, il ne 2. Lettre à Wilhelm Blos, du 10 novembre 1877, parue d'abord dans Der waltrc Jacob du 17 mars 1908. Se trouve au t. 34 des Œuvre, de Marx et .Engelt, 2• éd. (en rusi;e), pp. 238-42, Moscou 1964.
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