Le Contrat Social - anno IX - n. 6 - nov.-dic. 1965

374 permettte la parole, la discussion, la révélation du mal, et le mal, une fois révélé, ne peut ' . . guere se maintenir. Cependant, il faut remarquer que les discussions de l'assemblée servent moins à traduire la volonté générale qu'à lui permettre de se former, à éclairer l'opinion publique de façon qu'on puisse prendre une décision. Régime parlementaire ou régime démocratique, c'est la même chose en fait, car sans la parole il ne se formerait pas d'opinion publique ni de volonté générale. En outre, il faut que les membres de l'assemblée soient réellement indépendants les uns des autres, et non groupés d'avance dans des partis dont la décision est déjà prise. Il le faut pour que la discussion, pour que la parole aient un sens. Rousseau remarque avec raison que l'opinion d'un parti n'est jamais qu'une opinion privée, et que plus les partis ont de force, moins en a le peuple souverain. Là donc où il n'y a plus guère d'objet général, là où les discussions publiques ont de moins en moins d'importance, là où, en fait, il y a de moins en moins de parlement, là où ce sont les grands partis, les grandes administrations qui gouvernent, il ne saurait y avoir de régime démocratique. Dès lors, ce n'_est pas la démocratie qui peut étouffer la liberté puisqu'elle ne fonctionne pas elle-même. Bien plutôt la démocratie a disparu en même temps que la liberté. Si quelque chose subsiste de la démocratie, en certains pays,· c'est dans la mesure où existe encore ce qui permet à l'opinion publique de se former, c'est-à-dire une presse libre, admettant la discussion, et une pluralité de partis qui ne s'entendent que jusqu'à un certain point, de façon qu'il y ait encore une opposition et une confrontation d'opinions diverses. Le dialogue ne· se fait plus qu'entre trois ou quatre, mais il existe encore. En particulier, la liberté de la presse est plus importante pour le in~intien de la démocratie que le vote des électeurs tous les quatre ou cinq ans. . Stendhal disait déjà : « Politiquement parlant, notre liberté n'a pas d'autre garantie que le journal. » Il faut remarquer que cela confirme la théorie de Rousseau. Car s'il suffit que l'opinion générale soit informée pour que l' oppression ne puisse que difficilement se faire jour, si du moins c'est la meilleure garantie qu'on ait trouvée, c'est que la volonté générale est bonne. IL FAUT donc prendre· comme à peu près synonymes régime démocratique et régime parBiblioteca Gino Bian·co DÉBATS ET RECHERCHES lementaire, mais non pas régime représentatif. Dire <~ régime représentatif », c'est dire peu de chose. Les dictatures s'accommodent fort bien d'une prétendue représentation populaire. Rousseau a considéré le régime anglais sous son aspect représentatif ; c'est pourquoi il l'a critiqué. Il pense que le peuple anglais n'est libre qu'au moment où il choisit ses députés et qu'aussitôt après il devient leur esclave. En effet, le représentant est rarement fidèle, et le serait-il qu'il ne peut pas connaître l'opinion de l'électeur au moment où il faut agir. Le programme ne peut tout prévoir. (C'est pourquoi Alain a raison de dire qu'il vaut mieux élire le député d'après son caractère que d'après son programme ; parce que la doctrine ne prévoit pas tout, mais le caractère, la fermeté, l'intelligence serviront toujours.) .. Mais le régime anglais est, ou était, bien plutôt parlementaire que représentatif. Les dé- , , . . . . putes ne representaient pas une opm1on, puisque les deux grands partis traditionnels n'avaient pas de doctrine définie, mais c'étaient comme deux équipes qui prenaient le pouvoir alternativement, de telle façon qu'il y avait toujours une opposition, et par conséquent une possibilité de critique, de discussion. En France, les parlements de l'Ancien Régime n'étaient nullement représentatifs, puisqù'ils n'étaient pas élus. Cependant, le peuple leur était favorable, et non sans raison. Malgré leurs préjugés, ils constituaient un second pouvoir en face du pouvoir qui se voulait absolu ; ils obligeaient celui-ci à engager une discussion, à dé- . clarer ses raisons, à tout le moins sa volonté, enfin à « parlementer ». Grâce à eux, il y avait dialogue, et c'était ce qu'on désirait ; c'est ce qui importe pour la liberté. Le grand nombre, aujourd'hui encore, ne désire nullement le pouvoir politique, sinon autant qµ'il en faut pour défendre sa liberté. Il a conscience que la démocratie, c'est d'être libre et non d'être puissant, ou plutôt que s'il faut être puissant, c'est pour être libre, et que si ce but n'est pas atteint, c'est la preuve qu'on n'est pas réellement puissant. La représentation proportionnelle est fondée sur l'idée que le régime représentatif est la vraie démocratie. Il y a là bien des erreurs : erreurde penser que le représentant sera fidèle dans l'espace et dans le temps, c'est-à-dire à tous ses électeurs, tout le temps de son mandat ; erreur de penser que le programme suffira à déterminer son action; erreur de penser que tout le monde pourra être représenté, même ceux que leur opinion isole ou qui font partie de groupes

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