' B. SOUVARINE « Dix ans après Ialta» 15 mars 1955. ON CÉLÈBRE BEAUCOUP, et même trop, d'anniversaires. Mais le dixième anniversaire de la conférence de Ialta a passé pour ainsi dire inaperçu. Pourtant, s'il est un événement dont les conséquences ont pesé et pèseront longtemps sur l'avenir des peuples, c'est bien l'accord conclu à Ialta, en février 1945, entre Staline et le président Roosevelt. Celui-ci déclarait le 1 cr mars 194 5 : « Je pense que la conférence de Crimée a représenté un magnifique effort de ia part des trois nations dirigeantes afin de trouver un terrain commun pour la paix. Elle signifie, et devrait signifier, la fin du système d'actions unilatérales ... » Les illusions de M. Roosevelt allaient être de courte durée. On se demande même comment un homme d'Etat exerçant d'aussi hautes fonctions ait pu se tromper à ce point sur Staline et sur le régime soviétique. Un quart de siècle après la révolution d'Octobre, vingt ans après la mort de Lénine, ce régime terroriste et son maître n'étaient pas inconnus. Les horreurs de la collectivisation agricole, après celles de la guerre civile, les fameux procès de Moscou et les « épurations » sanglantes qui leur faisaient cortège, puis le pacte Staline-Hitler annonciateur de la guerre mondiale, les agressions contre la Pologne, la Finlande, les Etats baltes, etc., _tout cela montrait assez de quoi les dirigeants de }'U.R.S.S. étaient capables. Cependant, le président F. D. Roosevelt et Winston Churchill, prenant leurs désirs pour des réalités, voulaient croire en une ère nouvelle, en une conversion de Staline aux principes démocratiques et a_ux idéaux humanitaires. (Comment en or pur le plomb vil se seraitil changé ?) Arrivés à Ialta après un long et pénible voyage dans les circonstances du moment, il leur fallut attendre plus de vingt heures Staline qui aurait dû être là le premier pour les accueillir. Ne se bornant pas à un acte aussi discourtois, Staline fit savoir à ses invités que son temps serait strictement mesuré. Et il avait pris des dispositions pour empêcher les délé-• gations américaine et britannique de se concerter librement. Mais MM. Roosevelt et Churchill étaient enclins à tout endurer dans l'espoir de gagner Staline à leur projet de Nations Unies. Comme l'a krit dans American Aff airs M. Don Levine peu apr~s la conférence : « Staline ne savait que trop bien, grâce à son remarquableréseau Biblioteca Gino Bianco 369 d'agents à l'étranger, que Roosevelt et Churchill étaient tombés d'accord sur la nécessité d'obtenir à tout prix son consentement à la convocation d'une conférence internationale en vue de la création d'une organisation mondiale. » Or Staline avait déjà occupé manu militari une demi-douzaine d'Etats européens que ses agents, sa police et son armée étaient en train de bolchéviser. Il lui fallait l'assentiment de ses deux grands alliés pour que ne soient pas remises en question les nouvelles frontières en Europe centrale et orientale. En échange de quoi on ne lui demandait qu'une promesse peu coûteuse de participer à la nouvelle Société des Nations qui devait instaurer la paix perpétuelle. Sans cacher son mépris envers l'utopie des Anglo-Américains, il fit mine de s'y rallier par égard pour l'opinion· publique des pays alliés de langue anglaise. Contre cet acquiescement sans valeur, il obtenait des avantages très substantiels. Il obtenait d'abord que les Alliés laissent l'armée soviétique occuper Berlin, pour le plus grand prestige de l'impérialisme communiste. Et que la zone d'occupation soviétique en Allemagne soit étendue vers l'ouest sans tenir compte de la position des armées lors de l' armistice. On créait ainsi un état de choses irréversible, et par conséquent irréparable. Ensuite Staline exigea la reconnaissance du pseudo-gouvernement communiste polonais de Lublin, ce qui faisait de la Pologne un Etat vassal de !'U.R.S.S., un satellite. Il promettait de futures élections libres dans ce pays où il allait imposer un parti unique, dûment domestiqué, une presse asservie, une police omniprésente et omnipotente à ses ordres. On sait ce que valaient les promesses de Staline. Mais MM. Roosevelt et Churchill firent comme s'ils ne le savaient pas. Et la suite fut ce qu'elle devait être quand les élections à la mode totalitaire donnèrent plus de 99 % des voix au parti communiste, et ce, dans une population paysanne et catholique où les communistes sont notoirement minorité infime. Le gouvernement polonais en exil à Londres était sacrifié en vain par les tenants de la démocratie. En contrepartie, Staline prit l'engagement de donner à la fin d'avril le préavis d'un an dénonçant le pacte de non-agression soviéto-japonais qui venait à expiration. Cela ne lui coûtait rien car, de toute façon, la défaite du Japon étant d'ores et déjà certaine à cette date, !'U.R.S.S. ne pouvait s'abstenir de prendre part, au moins quelque peu, oux opérations en Extrême-Orient pour avoir place aux négo-
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