• QUELQUES LIVRES Un siècle après le « Capital » Q UAND ON OUVRE, de nos jours, un livre consacré au marxisme, on y consulte tout d'abord l'index des auteurs et des ouvrages cités pour savoir si la lecture en vaut la peine. Si l'on voit figurer des « économistes », des « philosophes » et des « sociologues » communistes dont la carrière « scientifique » n'a commencé qu'environ 1930, on sait à quoi s'en tenir et l'on renonce à prendre connaissance des clichés e~ poncifs qui constituent le « marxisme-lénirusme ». C'est avec cette légitime méfiance que nous avons abordé l'ouvrage de M. Ernest Mandel : Traité d'économie marxiste 1 • Le premier test, celui de l'index, fut favorable : aucun des prétendus théoriciens rabâcheurs des formules staliniennes n'y figure, Staline lui-même et Khrouchtchev n'étant cités que dans le chapitre traitant de l'économie soviétique, non point pour leurs « théories », mais parce que l'exposé obligeait l'auteur à se référer à leur position politique. Si Mikoïan a l'honneur d'une citation, c'est à cause de son discours au XXe Congrès du P.C. de l'Union soviétique, où il constatait « l'absence de tout travail créateur fondamental en marxismeléninisme », en déplorant que la plupart des théoriciens communistes « s'occupent à tourner et retourner de vieilles citations, formules et thèses ». Deuxième test: comment l'auteur juge-t-il le « marxisme » tel qu'on le professe en U.R.S.S. et dans le mouvement communiste? Il écrit (t. II, p. 426) : D'un instrument de recherche de la vérité objective, elle [la théorie économique marxiste] fut dégradée au rôle de justifier a posteriori les décisions politiques ou économiques prises par le gouvernement de l'U .R.S.S. Le « dogmatisme stérile » et la « déformation apologétique » ont ainsi formé « un ensemble 1. Paris 1962, Julliard édit., 2 tomes, 516 et 555 pp. Biblioteca Gino Bianco qui repousse les jeunes générations, à l'Est comme à l'Ouest ». Fixé ainsi sur ce que M. Mandel pense du « marxisme » bolchévique, nous avons entrepris de lire son ouvrage avec le préjugé favorable qui s'imposait en l'occurrence. Ces deux tomes, plus de mille pages en tout, se composent de dix-huit chapitres, dont les onze premiers (tome I) résument la théorie économique de Marx : 1. travail, produit nécessaire, surproduit ; 2. échange, marchandise, valeur ; 3. argent, capital, plus-value; 4. le développement du capital ; 5. les contradictions du capitalisme ; 6. le commerce; 7. le crédit; 8. la monnaie; 9. l'agriculture; 10. reproduction et croissance du revenu national; 11. les crises. L'auteur ne suit pas servilement l'exposé de Marx, ce dont le lecteur n'a qu'à se féliciter. En intervertissant dans bien des cas l'ordre des matières présentées, il facilite considérablement la lecture, mieux encore que ne l'avait fait Julien Borchardt. Autre mérite de l'auteur : il. a largement puisé dans les statistiques de notre époque pour actualiser son exposé et illustrer par des chiffres plus récents certaines lois et tendances démontrées théoriquement par Marx. Des données relatives à la concentration, aux salaires, au taux de la plus-value et au taux de profit confirment, jusqu'à une époque récente, les thèses de l'auteur du Capital. M. Mandel ne se contente d'ailleurs pas de faire appel aux statistiques. Il cite - son érudition est grande - de nombreux auteurs contemporains qui, souvent adversaires du marxisme, sont obligés de reconnaître le bien-fondé de telle idée de Marx.
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