Le Contrat Social - anno VIII - n. 3 - mag.-giu. 1964

E. DELIMARS Pourtant, C. H. Waddington, directeur de l'Institut britannique de génétique animale, avait constaté au cours d'entretiens avec les généticiens soviétiques, lors d'une récente visite en U.R.S.S., que les divergences entre la génétique occidentale et la génétique mitchourienne ne concernaient plus chez ces derniers les principes, mais seulement les aspects et les détails 6 • En effet, les récents progrès dans l'étude du rôle des nucléoprotéines permettent à tout savant sincère d'envisager une prochaine fusion de ces deux tendances, jadis opposées. Il suffirait pour cela de renoncer à la stupide étiquette « idéaliste » encore collée en U.R.S.S. à la génétique occidentale moderne qui, elle aussi, étudie l'action de la nutrition et l'influence du milieu sur la modification des caractères héréditaires au moyen des variations qu'elles peuvent engendrer sur le « code» de l'hérédité inscrit dans les nucléoprotéines, véritables supports biochimiques de l'hérédité 7 • Mais, pour Olchanski, il s'agit avant tout de maintenir le prestige de Lyssenko et de ceux qui ne doivent leur situation qu'à la dévotion au chef d'école. Ses partisans se raccrochent au rejet de toute coexistence pacifique de l'idéologie communiste avec la libre pensée de l'Occident, rejet une fois de plus confirmé par la réunion du Comité central de juin 1963. Comme toujours dans le monde communiste, quand il s'agit de faire coïncider l'idéologie périmée et la réalité présente, les dirigeants du Parti sont obligés de recourir au mensonge et à la rouerie. Pour Khrouchtchev et consorts, déjà suffisamment embarrassés par la nécessité d'abandonner le système agricole de Williams, le problème est de ne pas perdre entièrement la face, ce qui permettrait à la meute impatiente des victimes et des détracteurs de Lyssenko de fouler aux pieds la renommée de ce dernier, si souvent porté aux nues par le Parti. D'autre part, il faut sauver le prestige de la biologie soviétique, nettement en retard sur celle de l'Occident, en accordant aux savants russes la bénédiction du Parti pour toutes les recherches non mitchouriennes. Pour le moment, le Kremlin applique une cote mal taillée : la renommée de Lyssenko, bienfaiteur confirmé de l'agriculture et éventuel bienfaiteur de l'élevage avec sa promesse du lait à 5,2 % de matières grasses, doit être maintenue, surtout dans les milieux agricoles, tandis que le silence est fait autour de ses idées générales et des « lois biologiques » découvertes par lui. Les savants sont autorisés à ne plus tenir compte de ses tabous, hier encore obligatoires. Le choix par Olchanski de la Vie villageoise pour publier sa défense de Lyssenko et la place modeste accordée par la Pravda à celle-ci semblent confirmer cette hypothèse. 6. Cité par A. Ivanov dans la revue russe Novy Journal, New York, n° 74, p. 267. 7. Cf., par ex., l'ouvrage de Maurice Rose et P. Jore d'Arces : Evolution et Nutrition, Paris 1957. Biblioteca Gino Bianco 175 Quant à Khrouchtchev, il redouble devant le Comité central les éloges de Lyssenko et y englobe même le père de ce dernier : A l'exploitation de Gorki-Léninskié., où l'académicien T. D. Lyssenko poursuit ses recherches scientifiques., on emploie les engrais sous la forme du compost fumier-terre [préconisé par lui] (...). En ce qui concerne la betterave sucrière., je tiens à souligner la valeur du travail de Denis Nikanorovitch Lyssenko., père de l'académicien et grand connaisseur de la terre ... L'académicien T. D. Lyssenko., qui connaît bien la question des sols acides (...) a adressé au Comité central une note où il dtt : « Je pense qu'il serait bon de stocker et de répandre sur nos champs au moins 20 millions de tonnes de chaux » (Pravda, 10 déc. 1963, Comité central de déc. 1963). Quand j'ai besoin de me renseigner sur l'exploitation agricole dans une zone située en dehors des terres noires., je me rends à Gorki-Léninskié., chez T. D. Lyssenko. Là., il y a tant de choses à voir., tant de gens à écouter ... Récemment., le présidium du Comité central s'est rendu en corps constitué chez Trofime Denissovitch. Nous avons passé plusieurs heures dans son exploitation., dans ses champs., à sa ferme. Nous y avons ressenti une grande satisfaction. Sur ce sol argileux., T.D. Lyssenko produit à l'hectare jusqu'à 500 quintaux de betterave sucrière et 30 à 35 quintaux de froment. C'est cela l'application concrète de la science à la terre ! (Pravda., 15 déc. 1963.) Et en même temps de rendre hommage aux chercheurs soviétiques : Les chimistes., savants éminents tels que N. N. Semenov., V. A. Karguine., K. A. Andrianov., M. M. Doubinine., A. E. Arbouzov et tant d'autres travaillent intensément et avec succès (Pravda., 10 déc. 1963). La chimie d'aujourd'hui évolue avec une rapidité telle et apporte des modifications si révolutionnaires à bien des branches de l'économie nationale que son importance devient immense de nos jours. Donner toute latitude à la science chimique, c'est obtenir un gain énorme dans les rythmes de l'évolution économique du pays (Pravda., 15 déc. 1963). Mais cette latitude est accordée à une science dont maints embranchements fusionnent avec la biologie. Toute la génétique moderne s'appuie sur la biochimie et M. V. Keldych, président de l'Académie des sciences de !'U.R.S.S., est dorénavant autorisé à préciser nettement dans ses déclarations officielles: · . Nous devons exposer toutes· les conquêtes de la science du point de vue du matérialisme dialectique, lequel nous permet de les exploiter au mieux. Or, certains de nos savants ont tendance à rejeter les nouvelles hypothèses scientifiques uniquement parce qu'en Occident on leur a donné une interprétation idéologique erronée (...). Cette négation globale ne peut que nuire au développement de notre science et au progrès technique (Pravda, 17 mai 1963). Un mois plus tard, à la session de juin, il répéta la même chose. A la session de décembre 1963, il précisa la portée de la latitude accordée en biologie par Khrouchtchev :

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