LA BIOLOGIE EN LIBERTÉ SURVEILLÉE par E. Delimars LA FAILLITE de l'agriculture soviétique et la nécessité urgente d'y porter remède ont récemment donné une impulsion nouvelle à la lutte contre le culte de la personnalité. L'immense majorité des élites intellectuelles de !'U.R.S.S., plus particulièrement les spécialistes des sciences de la nature, n'étaient jamais que des marranes de la religion communiste officielle de l'ère stalinienne, dont ils célébraient les rites contraints et forcés. Une fois l'idole jetée à terre et piétinés par Khrouchtchev lui-même, ces intellectuels ont cru pouvoir se libérer également de la dévotion de rigueur aux demi-dieux imposés par le Parti dans les domaines les plus divers de la science. Une véritable croisade iconoclaste s'est levée chez les opprimés d'hier contre les autorités savantes, souvent factices, sacrées telles par la volonté de Staline et intangibles pour tout communiste ou compagnon de route. Dans l'ambiance nouvelle de« coexistence pacifique » et sous la pression du progrès constant et rapide de la science occidentale, cette offensive a obligé le Parti à jeter du lest. Pour maintenir l'éclat de leur réputation, usurpée depuis si longtemps, d'être dans n'importe quel domaine à l'avant-garde de la science, les dirigeants durent renoncer à leur prétention d'être des arbitres infaillibles ; il leur fallut céder du terrain et donner à la science soviétique des directives nouvelles, plus conformes à l'évolution naturelle. Il est certes difficile de préciser par quelle voie les dirigeants du Kremlin ont été amenés à réviser leur attitude et à_ prendre conscience du danger que présentait pour le prestige de la science soviétique leur obstination à lui imposer des mots d'ordre périmés. Il semble cependant que ce soient les progrès de la médecine et des sciences nouvelles qui collaborent avec elle qui aient joué un rôle déterminant dans ce revirement. Presque tous les grands dirigeants soviétiques, sinon tous, frisent la soixantaine ou l'ont même largement dépassée. C'est l'âge qui impose à Biblioteca Gino B.ianco tous les hommes, plus encore aux politiciens soucieux de poursuivre leur carrière, des contacts plus ou moins fréquents avec leurs médecins. Ces derniers sont à même, quel que soit l'abîme d'ignorance des sommités du Parti en matière de biologie, de faire comprendre aux moins obtus de leurs patients l'importance décisive des progrès accomplis par la médecine ces dernières années grâce à la biochimie, à la biophysique et surtout à la virusologie, toutes sciences nouvelles, orientées par des conceptions de génétique classique, laquelle est prohibée en U.R.S.S. Il leur suffisait de montrer le danger de stagnation que faisait courir à la science soviétique le diktat de Lyssenko : «Par ce moyen tu n'obtiendras rien», au moment même où les savants de l'Occident s'employaient déjà à déchiffrer le code de l'hérédité inscrit dans les molécules d'acide désoxyribonucléique. L'étude des possibilités d'action sur celles-ci donne en effet l'espoir de parvenir, dans un avenir plus ou moins proche, à se rendre maître des caractères héréditaires, tant des végétaux que des animaux. D'autre part, les chercheurs soviétiques del' Académie de médecine, les biochimistes et biophysiciens de l'Académie des sciences de !'U.R.S.S., même les généticiens classiques, repliés dans la lointaine filiale sibérienne, poursuivaient leurs recherches hétérodoxes malgré les difficultés, sans se soucier davantage de Lyssenko et de ses interdits. Le Parti ne pouvait ignorer leur travail obstiné et courir le risque de retarder par rapport au niveau actuel de la science. Afin de ne pas compromettre sa réputation de détenteur de la sagesse infaillible du marxisme-léninisme, il valait beaucoup mieux pour lui abandonner son attitude trop tranchée dans le cas Lyssenko. Dans le climat de 1962, alors que les milieux savants ont subi les changements importants qui affectent l'ensemble de notre vie, alors que l'éli-
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