L. EMBRY ressante : aucune hostilité certes et même, selon la loi de la conjoncture, une sorte de fraternité de principe, les peuples arabes étant « libérés » et le communisme «libérateur» par définition, glissement vers des modes de collaboration qui paraissent bien annoncer une fusion dont les deux grandes puissances marxistes seraient les bénéficiaires désignées, puis arrêt au bord de la chute, réactions de défense instinctive, maintien en des positions d'équilibre qui ne sont pas d'abandon pur et simple. Tout compte fait, la longue écharpe musulmane, tendue du Maroc au· Pakistan et à l'Indonésie, si elle est demeurée très éloignée de toute unité politique, a fait preuve par ses réflexes d'une certaine homogénéité et a préservé une sorte de qualité spécifique. Le chapelet des Etats arab~s constitue en sa majeure part ce qu'il est convenu d'appeler le tiers monde ou bien,"comme on voudra, le monde neutraliste, le monde non engagé. Cette évolution est remarquable et nous a, sans conteste, rendu d'appréciables services. L'exemple de l'Indonésie est l'un des plus instructifs qui soient. Lorsque l'opulent archipel fut arraché à la Hollande, les Etats-Unis, qui avaient fortement contribué à l'accélération du processus, pensaient pouvoir exercer discrètement leur influence sur la nouvelle République, et c'est un fait qu'ils y ont conservé des positions de première importance dans l'industrie pétrolière. L'anarchie de l'interrègne commençmt à se dissiper, il parut que des éléments indigènes d'orientation nationaliste et musulmane seraient en mesure de gouverner légalement. Mais la poussée communiste, intense dans les plus grandes villes, créait une grave cause de déséquilibre ; la balance pencha dangereusement, les compromis politiques accordèrent une place croissante à la démagogie, donc aux influences conjuguées de Moscou et de Pékin, unies pour dénoncer sans trêve l'impérialisme définitif et absolu, celui des Etats-Unis, on s'en doute bien. Vinrent les grands jours de Bandoeng et les flots d'éloquence surchauffée ; alors on eut le sentiment que la partie était perdue, que ce qui était fait aux trois quarts ne pouvait manquer de s'achever, que l'Indonésie serait une proie succulente pour la Russie ou, peut-être, plus encore pour la Chine dont les délégués à Bandoeng avaient été les véritables meneurs du jeu. Or ce sont les pessimistes qui doivent jusqu'à un certain point faire amende honorable ; le pendule est revenu à une position moins désavantageuse pour l'Occident et les Blancs, ce qui permit d'attendre la discorde soviéto-chinoise, laquelle, engendrant la perplexité, justifie et confirme de toute manière une position neutraliste. Dire qui ménagea au juste de telles chances serait fort délicat, mais outre l'armée, on peut estimer que le rôle des communautés religieuses et de l'islam en son ensemble ne fut pas négligeable. On sait de même qu'en Egypte, et jusque pendant les deux ou trois premières années du règne . de Nasser, la révolution s'était montrée fort polie à l'égard de l'Occident et de l'Amérique ; mais Biblioteca Gino Bianco 137 ce fut un triste jour que celui où Dulles crut sage de refuser les crédits qu'on lui demandait pour construire le barrage d'Assouan. Il en résulta une désastreuse cascade : la saisie brutale du canal de Suez; l'expédition anglo-française, aussi mal préparée que mal dirigée ; l'intervention américano-soviétique qui infligeait aux deux plus grands pays d'Occident un humiliant échec et, par voie . de conséquence, faisait de Nasser un héros vainqueur; enfin, la préférence définitivement accordée à !'U.R.S.S. pour les travaux du fameux barrage. Nasser, dont on avait ainsi multiplié la taille, pouvait désormais s'enfler pour les immenses desseins et n'y manqua pas; il pouvait aussi s'entendre de mieux en mieux avec la Russie mais, sous ce rapport, il s'est montré plus fluctuant, donc en définitive plus souple et plus habile. Nous pouvons faire maintenant la part de ses succès et celle de ses déboires. Il a son canal et son barrage du Nil, ce qui n'est pas peu; mais ses efforts pour créer un empire nassérien du Moyen-Orient n'ont rien donné et, d'autre part, il a eu la prudence de ne jamais rompre tout à fait ni avec l'Amérique, qui lui témoigne beaucoup d'indulgence, ni avec les agresseurs déconfits de 1956. Le Moyen-Orient voit s'affirmer aujourd'hui, sinon fleurir et fructifier, un socialisme proprement arabe qui, selon les lieux, conviendrait tantôt à l'Egypte elle-même, tantôt à la Syrie et tantôt à l'Irak. On ne perdra pas son temps à discuter sur des nuances, mais qu'est-ce à dire, sinon que ce socialisme est essentiellement national et islamique? D'où il suit que deux conclusions sont évidentes : promulguer une idéologie socialiste d'un type particulier, c'est refuser d'entrer dans une orthodoxie planétaire, adopter d'emblée la position titiste ; vouloir que cette idéologie soit arabe, c'est reconnaître, consciemment ou non, une dette envers la tradition coranique, car on ne voit pas ce que serait un arabisme radicalement détaché du Coran. Marx est donc jusqu'à un certain point tenu en échec par Mahomet et son internationalisme prolétarien s'avère une fois de plus fiction de théoricien. Dès l'instant d'ailleurs que Khrouchtchev reconnaît le droit pour chaque peuple d'aller au socialisme par les chemins qui lui conviennent, on est en pleine révision. Un socialisme chrétien poussé assez lo~ mériter~t les éloges de Moscou nonobstant toutes les thèses sur l'opium du peuple et la démystification.. ~ Resterait à dire un mot des trois Etats maghrébins, mais il suffit de remarquer qu'en dépit de différences notables, tous passent par des cycles parallèles. Même âpreté nationaliste, même tendance au régime autoritaire, même louvoiement entre les grandes puissances, la flexible formule du non-engagement permettant tous les coups de barre opportuns, et, surtout en cette ambitieuse Algérie, dernière venue durement forgée par la guerre, même souci de se donner un socialisme arborant ses couleurs. Au total, nous estimons défendable un optimisme modéré ; l'islam qui,
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==