revue historique et critique des faits et Jes idéeJ Mai-Juin 1963 Vol. VII, N° 3 RAPPEL AU CONFORMISME par B. Souvarine 0 N A MENÉ grand bruit dans la presse occidentale, ces derniers mois, à propos du dernier zigzag dit «idéologique», en réalité essentiellement politique, décidé par les dirigeants de l'Union soviétique. Les discussions . qui remuent le Landerneau artistique et littéraire de Moscou ont des échos singulièrement prolongés au-dehors, suscitant force commentaires. Et surtout les opinions sentencieuses prononcées ex cathedra par les chefs omniscients du Parti, en l'occurrence par Ilitchev et par Khrouchtchev, prêtent à toutes sortes d'interprétations ou même d'inquiétudes. Les « experts » parlent de retour au stalinisme, entre autres, voire d'émulation dans l'intransigeance avec une Chine dogmatique et belliqueuse. On ne s'attendait guère à voir la Chine en cette affaire. Quant au stalinisme, dont le marxisme-léninisme n'est qu'un pseudonyme, il n'était dépassé que dans l'esprit des inventeurs d'un «libéralisme» imaginaire et par conséquent la péripétie récente qui rappelle à l'ordre les écrivains et les artistes soviétiques non conformistes n'a nullement le sens que d'aucuns lui confèrent avec trop de hâte. A la vérité, la notion de déstalinisation, improvisée en l'absence de vocable adéquat, implique équivoque et malentendus. Une déstaHnisation est impossible à proprement parler, puisque Staline a commis des crimes irréparables et créé à maints égards un état de choses irréversible. Pour les millions de veuves et d'orphelins, il n'y a pas de déstalinisation concevable. Non plus que pour les millions de victimes d'une guerre atroce que Staline a voulue, de connivence avec Hitler. Dans l'ordre matériel, il est hors de question de restaurer tout ce qui fut détruit sous Staline. Dans l'ordre moral, intellectuel et politique, il n'existe gu~e de remèdes aux perversions inculBiblioteca Gino Bianco quées par le stalinisme à la jeune génération d'alors, aujourd'hui adulte. Enfin le passé, le présent et l'avenir ne sont pas des états distincts; la passé subsiste dans le présent qui subsistera longtemps dans l'avenir, et donc le stalinisme subsiste dans le pseudo-libéralisme attribué aux massacreurs de Budapest et de Tiflis. La direction collective qui a succédé au pouvoir personnel de Staline pouvait se permettre de relâcher les contraintes étouffantes imposées aux lettres et aux arts, ne serait-ce qu'en raison du sentiment de sécurité consécutif au quart de siècle écoulé sous la terreur. Après tant de saignées ·épuisantes, elle devait se dispenser de recourir aux saignées inutiles. Autres temps, autres méthodes. Il fallait bien réagir contre l'ennui et la torpeur, ranimer le goût de vivre et stimuler l'ardeur au travail. D'où la répudiation des excès monstrueux du stalinisme pour mieux conserver l'essentiel du système; d'où la tolérance relative que tant d'Occidentaux ont prise pour du libéralisme au sens classique du terme. Mais en desserrant quelque peu la vis aux intellectuels communistes, les dirigeants se réservaient évidemment le droit et le devoir de la serrer de nouveau en cas de besoin, et c'est ce qu'ils n'ont pas manqué de faire. Entre Staline et Jdanov d'une part, et Khrouchtchev et Ilitchev de l'autre, il n'y a pas de différence en matière d'esthétique, une esthétique de sous-offs rempilés. On ne saurait leur en faire grief, leur origine et leur éducation en sont la cause. Mais le penchant pour l'art de calendrier, pour le style pompeux et pompier, l'aversion pour la peinture insolite, etc., n'interviennent dans le dernier «tournant» qu'à titre secondaire. Il s'agit avant tout de ne pas tolérer qu'un esprit frondeur s'introduise dans le monolithisme dit
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