Le Contrat Social - anno VII - n. 3 - mag.-giu. 1963

LES «VOLONTAIRES DU PEUPLE » par A. Morris CERTAINS ÉPISODES de l'histoire du mouvement des «volontaires du peuple », depuis son origine récente, en 1959, rappellent les meilleures pages de Saltykov-Chtchédrine. A la fois pavée des meilleures intentions et parfaitement inapplicable, l'entreprise aurait pu sortir tout armée du cerveau d'un des maires excentriques de la ville de Gloupov 1 • Inutile de chercher loin les raisons de cette campagne. Depuis le milieu des années 50, a déferlé sur l'Union soviétique une vague croissante de « hooliganisme », terme officiel qui recouvre une foule de délits mineurs. En témoignent le renforcement des lois réprimant divers actes délictueux, parmi lesquels l'ivrognerie, la simplification des procédures légales destinées aux voyous, la rédaction d'études savantes sur les causes de la criminalité, l'institution de commissions spéciales chargées de la délinquance juvénile, sans parler des « tribunaux de camarades ». Les raisons officielles données à cet ensemble de mesures, à savoir la répugnance des Soviétiques à admettre des « survivances du passé » dans la société communiste, ne sont guère convaincantes. La prévention des délits mineurs était auparavant du ressort de la milice. Or, nul n'en ignore, négligée du temps de Staline, la milice a depuis longtemps cessé d'attirer les bons éléments, et les touristes étrangers s'accordent à reconnaître que ce corps, important par le nombre, n'inspire généralement, aujourd'hui encore, aucun 1. Gloupov, c'est-à-dire Nigaudville, est le nom donné par Saltykov-Chtchédrine à la localité où se déroule l'action de l' Histoire d'une ville. Les habitants s'y trouvent sous le joug de maires successifs qui échafaudent des plans aussi fantastiques qu'impraticables pour améliorer le bien-être de leurs administrés, ou plus exactement leur propre situation. Biblioteca Gino Bianco respect à la population. Il est donc fort probable que les dirigeants actuels tenaient la milice pour incapable de faire face à une situation qui empirait. Si, sous Staline, il importait peu que le crime fût florissant, il n'en va plus de même à présent. De toute évidence, Khrouchtchev pensa trouver la solution en lançant le mouvement des volontaires du peuple. L'idée était d'une simplicité propre à séduire d'emblée les naïfs, car elle semblait impliquer bel et bien une offensive populaire contre tous les criminels. Les organes de la milice seraient complétés par une force de volontaires, les éléments sains de la société étant ainsi mobilisés contre les individus contaminés. Le 10 mars 1959, la Pravda réserva une place de choix au résumé d'un décret du Parti et du gouvernement intitulé : << De la participation des travailleurs au maintien de l'ordre public. » Des détachements chargés de réprimer les délits, les droujiny, devaient être constitués dans tout le pays. Ils seraient placés sous la surveillance du Parti, des soviets, des syndicats et du Komsomol. La mission impartie à ces détachements, précisée par la suite 2 , était des plus étendue. Outre les patrouilles dans les rues et les lieux publics pour« maintenir l'ordre », ils avaient à s'en prendre aux voyous, aux ivrognes et aux bouilleurs de cru clandestins, à réprimer le vol de la propriété publique et privée, l'escroquerie, la spéculation et les infractions au code de la route. Ils étaient de plus invités à seconder les gardes-frontières, à s'opposer aux parents délaissant leur progéniture, à rechercher les « individus menant une existence de parasite». Les délinquants appréhendés seraient livrés à la milice ou à un « tribunal de camarades», à moins qu'on ne leur 2. La Justice sov,ïtiquc, 1960, n° 5, p. 30.

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