Le Contrat Social - anno VII - n. 2 . mar.-apr. 1963

70 Le rôle des techniciens sans-parti dans l'étude de la planification fut considérable. Au C.S.E.N., des postes importants étaient détenus par d'exmenchéviks : Ginsbourg était chargé de la direction économique ; Sokolovski, de la· politique commerciale; Stern, de la section financière ; Kafengauz, de la statistique; l'auteur de ces lignes, de la rédaction du journal. En 1925, l'Osvok (comité spécial pour la reconstitution du capital fixe de l'industrie) fut fondé. Un comité de ce genre fut également organisé au Gosplan ; son activité ne se bornait pas à l'industrie, elle s'étendait à l'économie tout entière. Une importante commission d'intellectuels non communistes, dans laquelle l'ex-menchévik Groman et l'ex-bolchévik Bazarov occupaient des postes en vue, se consacrait à ce problème et aux prévisions annuelles, dites « chiffres de contrôle », de l'économie. Ainsi virent le jour les fameux plans quinquennaux dans l'élaboration desquels les intellectuels sans-parti jouèrent un rôle non moins grand que sous Lénine, quand ils conçurent le plan d'électrification de la Russie (Goelro). Le plan général du développement de l'industrie pour la période 1925-1930 fut établi, au C.S.E.N., par l'ex-menchévik Ginsbourg avec l'aide de nombreux collaborateurs. Des calculs compliqués pour modifier et accroître le capital fixe de l'industrie furent établis par l'ex-menchévik Grintser. Le sans-parti Abramovitch exposa, du point de vue financier, les perspectives du développement de l'industrie. Le sans-parti Jdanov esquissa la répartition géographique des nouvelles industries. Travaillant d'arrache-pied, de nombreux techniciens appartenant aux cadres, intellectuels naguère d'un parti, aujourd'hui sans-parti, avaient conscience de leur rôle, en 1925, dans l'immense appareil de l'Etat soviétique. Leurs chefs, des droitiers, les tenaient en haute estime. Iou. Larine affirmant que le C.S.E.N. était sous la « coupe des menchéviks », Dzerjinski répliqua: Je souhaite que dans les autres commissariats cette emprise se fasse également sentir. Les ex-menchéviks qui détiennent des postes de direction sont d' excellents collaborateurs. Ils méritent d'être appréciés. Nous perdrions ·beaucoup si nous ne les avions pas. Le discours de Dzerjinski à la 14e Conférence témoigne de l'attitude de la droite envers les techniciens sans-parti : Il faut en finir dans ce domaine avec le komtchvanstvo. (...) Sans estime pour les hommes qui ont du savoir, sans l'aide que nous apporte le personnel technique, nous ne pourrions développer notre industrie. Il faut instaurer dans la vie de tous les jours de nouveaux rapports amicaux avec les techniciens. Il faut leur accorder une sorte de statut dans les usines et dans les comités de direction. La plupart des techniciens sans-parti estimaient que c'en était fini à jamais en Russie du capitalisme, qu'une restauration des anciens rapports Biblioteca. Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL sociaux était impossible, qu'il fallait vivre et travailler dans le nouvel ordre social, avoir l'espoir qu'il évoluerait dans un sens démocratique. Ils étaient hostiles à la politique de l'opposition trotskiste, qui considérait la masse paysanne comme une « vache à lait » et exigeait de la population, pour développer l'industrie au maximum, des sacrifices au-dessus de ses forces. Au contraire, la politique de la droite suscitait chez les techniciens sans-parti une vive sympathie, notamment les mots d'ordre tels que l'abandon des méthodes du communisme de guerre, l'atténuation de la lutte de classe, l'avènement de la paix civique. A tort ou à raison, on voyait là un prolongement logique des conceptions de Lénine à la fin de sa vie. Les discours de Boukharine et Rykov trouvaient une grande résonance chez les intellectuels sansparti, qui voyaient, dans les lois agraires promulguées en 1925, le moyen de développer l'agriculture et de la soustraire aux caprices communistes. La politique de Dzerjinski au C.S.E.N., qui tenait compte des besoins des paysans et condamnait les rythmes infernaux adoptés pour l'industrie, avait aussi leur approbation. Optimisme et confiance en une évolution positive du pouvoir, tel était l'état d'esprit, en 1925, dans les commissariats économiques. Pour certains de ces intellectuels, l'idée du « socialisme dans un seul pays » ne semblait pas chimérique. Pourquoi pas ? disaient-ils, en faisant état des inépuisables richesses naturelles de la Russie. Et puisqu'une puissante industrie était nécessaire au socialisme, le rapide développement de l'industrie avant 1914, sans mesures extrêmes, n'était-il pas la preuve que ce problème pouvait être résolu ? Le tout était de savoir comment instaurer le socialisme. Après le coup de frein donné par Lénine en 1921, beaucoup voyaient dans la politique de la droite un second « coup de frein», un nouveau recul sensible par rapport au socialisme tel qu'on le concevait sous le communisme de guerre. D'où l'espoir que l'évolution ne s'arrêterait pas là. fi ' PASSONdSe l'industrie au commerce. La nep avait engendré le commerce privé, suscité une énorme spéculation et une mainmise presque totale des nepmans, grâce aux capitaux sortis de l'ombre, sur le commerce de détail et sur une partie du commerce de gros. Les coups très rudes portés par le Guépéou aux spéculateurs et à l'organisation naissante des coopératives de consommation étouffaient le commerce privé. Dans le commerce de gros, la part du capital privé, qui, en 1924, représentait 18 % des échanges, avait été ramenée à 8 % en 1925, et à 7 % en 1926, puis avait disparu. Dans le commerce de détail, la part du capital . privé était, en 1924, de 66 %; en 1925, de 48 %; en 1926, de 44 %,

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