Débats et recherches LA MORALE DE L'HISTOIRE par ·Aitné Patri Sous un titre un peu long 1 , M. Emile Callot a composé un. ouvrage fort estimable dont le ton change heureusement de celui des vaticinateurs qui profèrent les habituels non-sens sur le «sens de l'histoire ». Il a fait usage d'une raison plus analytique que dialectique, et ce pourrait être tout dire sans rehausser son prestige, mais non sans reconnaître son mérite. Evoquant son titre, l'auteur dit que « les ambiguïtés s'éclairent», tandis que «les antinomies ne se résolvent pas nécessairement ». Sans doute admettrait-il que l'ambiguïté vise le terme et l'antinomie la chose. Nous ne doutons pas qu'il y ait de l'une et de l'autre dans la matière qu'il étudie. Sous le nom d'histoire, on désigne tantôt l'objet de l'historien, tantôt le résultat de son travail. Personne ne confondrait la physique avec la nature. Mais les ambiguirés de cette sorte sont courantes dans les disciplines qui ont trait aux affaires humaines : Lucien Lévy-Bruhl insistait déjà_sur l'opportunité de distinguer la morale de la science des mœurs. Pour supprimer la confusion, Croce, comme le rappelle M. Callot, a proposé le terme « historiographie », qui fait heureusement pendant à celui de géographie. Il ne serait cependant pas étonnant que l'ambiguïté vire à l'antinomie, comme lorsqu'il s'agit de la morale, parfois présentée comme une «science normative » qui se proposerait à la fois de connaître et de prescrire. Histoire vient d' histôr, qui veut dire «témoin» : le premier et le principal témoin de l'histoire, c'est celui qui la fait et ne se laisse pas tout à fait comparer à la pierre qui tombe. Formulons donc la première antinomie, laquelle se rapporte à ce que Hegel appelait l' « histoire originale», source pour l'histo1. Ambiguitis et antinomies de l'histoire et de sa philosophie, par Emile Callot. Préface de F. Braudel. Paris 1962, Marcel Rivière et C18 , 391 pp. Biblioteca Gino Bianco rien, mais qui manque au préhistorien ne disposant que de vestiges: l'acteur mémorialiste, premier et principal .témoin en ce qu'il fut aussi son propre spectateur en même temps que celui d'autrui, n'est pas le meilleur ou le plus sftr témoin, trop engagé qu'il est, pour comprendre à fond l'ensemble de la situation dont il ne figurait que l'un des éléments. L'histoire originale fait donc place à l' «histoire réfléchissante » qui utilise des méthodes critiques, bien connues depuis Langlois et Seignobos, pour savoir ce que valent sous le rapport de la provenance, de l'interprétation, de la sincérité et de l'exactitude les premiers témoignages dont elle ne peut cependant se passer. C'est le travail de l'historien proprement dit, qu'il est de mode aujourd'hui de mépriser au nom de visées plus hautes, mais qui ne sont pas toujours aussi pures. La simple érudition des archivistes, quelle horreur ..• L'histoire réfléchissante connaît elle aussi son antinomie. On fait maintenant devoir à l'historien d'être au moins aussi «subjectif» que son héros. Sommation lui est faite, par voie d'huissiers divers, de présentement «s'engager» pour mieux . comprendre le passé. Les bons apôtres font valoir qu'il ne saurait d'ailleurs faire autrement : cela est nécessaire, au double sens d'inévitable et d'indispensable. Choisissant son sujet n'a-t-il pas fait un « choix », comme eût dit le chantre de La Palice ? Ce choix peut-il être motivé autrement que par le présent ? Le tardif réflecteur de l'histoire est lui-même dans l'histoire, et il n'en sortira pas. Avouons ne pas être trop impressionné par cette antinomie très à la mode, utilisée surtout pour glisser l' «indispensable» au nom de l' « inévitable». Cet «inévitable », en effet, n'est pas propre à l'histoire : le naturaliste, lui aussi, se trouve placé dans la nature, et celui qui «choisit» d'étudier les escargots plutôt que les fourmis a sans doute des raisons qu'il serait intéressant d'étudier. Mais ce qui est certain,
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