Le Contrat Social - anno VII - n. 2 . mar.-apr. 1963

112 tique, les brigades ont reçu qualité pour traîner le contrevenant «au pilori » ; pour le livrer au collectif ou au «tribunal de camarades » qui lui infligera un blâme, le soumettra à une « rééducation » ou lui fera un «procès public » ; pour le remettre aux mains de la police, parfois de la police secrète. Le rôle des brigades a consisté de plus en plus à doubler plutôt qu'à simplement renforcer les autorités régulières chargées de faire appliquer la loi. On en a vu (surtout des brigades de komsomols)arrêter de simples citoyens aperçus en compagnie d'étrangers, appréhender à tort et à travers des gens dont les goûts vestimentaires ou la coiffure n'étaient pas conformes aux canons, faire irruption dans des appartements privés où l'on écoutait de la musique « moderniste )) (jazz aussi bien que classique), disperser les attroupements autour de poètes « clandestins », confisquer des écrits « étrangers à notre esprit», formellement autorisés sans doute, mais qui n'avaient pas l'heur de plaire (par exemple la revue Amerika, les brochures distribuées aux expositions organisées par les pays occidentaux). LES(( TRIBUNAUX DECAMARADES)) institués dans les maisons d'habitation, usines et kolkhozes, et qui ont qualité pour infliger le «pilori», des amendes et autres mesures, à l'exception de l'emprisonnement, sont devenus, tout comme les (,(brigades », des organes de surveillance politique. Au XXIe Congrès, Khrouchtchev exigea des « tribunaux de camarades)) qu'ils prennent en main «non seulement les problèmes touchant la productivité, mais les questions ayant un caractère moral et concernant la vie de tous les jours, les cas de comportement incorrect de la part des membres du collectif qui constituent des manquements aux normes de l'ordre public)>. Cette invite à empiéter sur le domaine de la politique fut précisée dans un article de tête du journal la Russie soviétique : « ••• La tâcheprimordiale des tribunaux de camarades est la lutte pour préserver la pureté de la moralité communiste et s'opposer aux manifestations de l'idéologie bourgeoise qui nous est étrangère.» Parmi les « organisations publiques », la «réunion publique » présente un intérêt particulier : elle est en effet devenue l'un des instruments essentiels pour l'application des lois « antiparasites ». Ces dernières stipulent que, sur la demande d'une « réunion publique )> ( ou de la police, ou encore des deux à la fois), les comités exécutifs des soviets locaux peuvent infliger le bannissement administratif, assorti de travail obligatoire, pour une période de deux à cinq ans, aux« parasites, oisifs et fainéants». La notion de «parasitisme» n'a jamais été clairement définie. Contrairement à ce qu'affirment certains observateurs, les « réunions publiques » ne s'occupent pas seulement des petits trafiquants, femmes légères, ivrognes invétérés et délinquants juvéniles. Il est Bi.blioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE avéré, par exemple, que des contrevenants « politiques » sont souvent traduits devant des réunions publiques par la police secrète, quand celle-ci ne s'estime pas tenue de préserver le secret en s'adressant directement aux comités exécutifs locaux (ou encore si elle veut donner de la publicité à l'affaire en vue d'intimider la population). Les Izvestia ont rapporté un cas de ce genre : la police secrète avait requis l'assistance d'une « réunion publique » pour juger un ouvrier surpris à répandre « toutes sortes de rumeurs et de calomnies » récoltées à l'écoute d' «émissions radiophoniques hostiles ». En l'occurrence, l' ouvrier incriminé s'en était tiré avec une sentence de «rééducation» sur parole, mais d'autres affairesdu même ordre ont abouti au bannissement : depuis le renouveau de la campagne antireligieuse, la presse a annoncé que des membres de sectes et un rabbin au moins ont été proscrits par des « réunions publiques ». L'étiquette de «parasite» a été collée aussi bien à de jeunes poètes «modernistes» qu'à des gens qui recevaient des colis de parents résidant · · a l'étranger, ou dont le «crime » avait consisté à bavarder trop librement avec des étrangers de passage en U.R.S.S., à des étudiants ayant refusé de rejoindre un poste qui leur avait été assigné dans une région lointaine. Bien qu'en l'espèce il n'ait pas été fait mention de véritables «procès», les contrevenants ont été nommément désignés dans chacun des cas et au moins certains d'entre eux ont dû être poursuivis en vertu des lois «antiparasites ». En outre, le terme «parasite » a été appliqué au groupe entier ou «représenté» par les individus incriminés, ce qui laisse supposer que d'autres procès, auxquels nulle publicité n'a été faite, se sont déroulés ou sont en cours. Khrouchtchev a déclaré au congrès du Komsomol, en avril 1962, que, dans la lutte contre le «parasitisme », « le Comité central et le gouvernement envisageaient d'intensifier la surveillance afin d'éliminer les faiblesses plus rapidement». Contrainte directe et indirecte DEPUIS la mort de Staline, c'est assurément le peuplement des terres vierges qui a donné lieu aux mesures de contrainte les plus poussées. Aucun doute que bien des «volontaires » ( un bon million) qui sont partis pour la Sibérie ou le Kazakhstan ne l'ont pas fait de plein gré. Le vocabulaire officiel est à cet égard fort significatif. Les gens « vont » rarement sur les terres vierges : ils y sont « assignés », « mutés » ou «envoyés » - bien sûr «volontairement » 8 • Au 8. Cf., in Pravda du 13 avril 1956, l'appel de Khrouchtchev à la jeunesse ; le Komsomol doit « assigner » des jeunes aux terres vierges et les usines « détacher » des ouvriers. Reconnaissant par là que les véritables volontaires ne seront pas légion, il exhorte le Komsomol à « surmonter cette difficulté » et le prévient qu'il lui faudra se livrer à « un gros travail d'éducation pour persuader les gens».

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