Le Contrat Social - anno VII - n. 2 . mar.-apr. 1963

... B. DBLIMARS rêvent tant de jeunes filles me brûlent, m'étouffent, m'empêchent de respirer. Je ne m'entends pas avec mon mari, mais nous avons un fils qui aime son père et c'est à cause de lui que je dois souffrir en silence (Kom. Prav., 6 janv. 1962). L'enquête précédente sur la jeunesse avait fait apparaître que, malgré tous les efforts éducatifs, l'aspiration au bien-être matériel, la soif de l'argent sont largement répandues dans la deuxième et la troisième génération soviétique. Le rêve d'une vie facile grâce au mariage paraît être aussi fréquent chez les jeunes filles sovié- ~ues que chez leurs sœurs du monde « capi- .ste ». Comment admettre que cette mentalité n'est qu'une « survivance du passé », comme l'affirme le Parti, lorsqu'une jeune fille de vingttrois ans de la Province maritime d'ExtrêmeOrient déclare en toute innocence que «son but dans la vie est de se marier avec un officier, de bien vivre, de s'amuser et de ne pas travailler. Laissons aux chevaux l'occasion de crever au travail » (Kom. Prav., 21 juillet 1961). Et cette jeune personne n'est nullement l'exception. La Léningradskaïa Pravda a récemment relaté un autr~ cas: Une certaine Lioucha, jeune fille travaillant dans une entreprise de Léningrad, ne rêvait que du mariage. Dans son imagination miroitait le mirage impossible de souliers à talon aiguille, de la robe bouffante et de celui qui la fera entrer dans une existence toute nouvelle. Elle ne sera plus obligée de passer ses journées debout près d'une machine-outil, mais, habillée d'une robe de chambre en brocart, elle restera lovée sur un canapé à écouter des disques (cf. n. 1). A côté de ces dénonciations de la cupidité, qui sont monnaie courante en U.R.S.S., nous trouvons dans les réponses publiées une autre indication curieuse émanant de Tatiana et Edouard Orlovski, tous deux étudiants à l'université de Léningrad, mariés depuis trois ans et âgés respectivement de vingt-deux et vingt-sept ans: Nous ignorons si cela peut être qualifié de survivance du passé, mais les jeunes couples doivent toujours pouvoir aplanir eux-mêmes leurs difficultés sans intervention des tiers. D'autre part, les trivialités de la vie quotidienne ne doivent pas assombrir les choses importantes, la rouille ne doit pas corroder les principes (Kom. Prav., 17 déc. 1961). Il est probable que cette protestation contre l'immixtion des tiers dans la vie privée du couple n'a été reproduite que du fait que ses auteurs estimaient également que « la première cause de divorce est l'intervention stupide et dépourvue de tact des parents dans les relations mutuelles des jeunes époux. Cela ressort de tous les cas que nous connaissons autour de nous.» Car on peut se demander si l'intervention permanente du «collectif» et la surveillance «amicale» exercée par les camarades et les personnes de l'entourage sur la vie privée de chacun, cet Biblioteca Gino Bianco 103 élément inévitable de la vie en pays soviétique, élément tenu par le Parti pour un facteur indispensable et salutaire, ne pèsent sur l'intimité de la jeune famille bien plus lourdement que le manque de tact des mères et des belles-mères. La presse soviétique révèle souvent à quel point les interventions du « collectif» auprès des jeunes peuvent être maladroites, nuisibles et parfois tragiques. En voici deux exemples : au cours de l'automne 1961, L. Kouznetsova, jeune institutrice de l'école n° 23 de Sébastopol, fut, sans aucune raison valable, « accusée par quelques individus inhumains d'avoir une conduite indigne». Sans vérifier le bien-fondé de cette accusation, le comité syndical de l'école proclama que cette jeune fille « déshonorait le haut titre d'institutrice soviétique ». Incapable de supporter une telle insulte, Kouznetsova se suicida (Pravda, 28 fév. 1962). A Kiev, une jeune orpheline de vingt ans, Rimma Volévitch, ouvrière temporairement sans emploi, fut dénoncée à la milice comme « élément parasite » par un voisin, Smertenko, qui lorgnait la chambre qu'elle occupait. Traînée par la milice devant le juge, elle fut condamnée en moins de dix minutes à être bannie de Kiev pour une durée de deux ans. Seule l'intervention du journal Izvestia de Moscou, auquel cette orpheline, seule au monde, avait écrit une lettre déchirante, fit que cette condamnation put être annulée. Le dossier de Volévitch ne contenait qu'un rapport de milice constatant qu'une fois une jeune fille de ses amies avait passé la nuit dans la chambre de celle-ci, et qu'une autre fois un étudiant « fut découvert chez elle à onze heures du matin », ainsi qu'une série de dénonciations émanant de Smertenko, qui assurait que Volévitch était une « fainéante typique » et réclamait son expulsion de Kiev. Le rapport de milice proposant cette expulsion s'appuyait sur des « lettres de voisins » (lZ'Destia, 21 fév. 1962). SELONles mêmes Orlovski, la seconde cause de divorce est l'ivrognerie du mari, vice traditionnel en Russie, qui ne paraît guère atténué par les quarante et quelques années de régime soviétique. Le dicton séculaire : « La joie de la Russie est de boire », conserve tout son sens. Khrouchtchev lui-même s'en indignait au récent 14° congrès du Komsomol et réclamait le renforcement de la surveillance de la vie familiale par le « collectif » et les voisins : J'ai eu récemment l'occasion de causer avec une jeune femme, membre du Komsomol. Son premier mariage fut un échec : les époux se sont séparés. Elle s'est remariée avec un ivrogne. Le vice de ce dernier l'avait conduit à voler. Il fut condamné et se trouve maintenant en prison. Cette jeune femme a des enfants qui lui disent: « Depuis que papa n'est plus là, nous vivons bien.» Cet ivrogne battait sa femme et ses enfants et dépensait tout en boisson.

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