K. PAPAIOANNOU paysans était tirée du travail sur les lopins individuels, ce «minimum de travail obligatoire» peut être considéré comme une corvée de type féodal et peut soutenir la comparaison avec certaines formes particulièrement archaïques de fermage: ainsi au Transvaal et au Natal les fermiers noirs doivent s'acquitter du fermage sous forme d'une bonne centaine de journées de corvée à la ferme du propriétaire blanc. Travail obligatoirecontre livraisonsobligatoires: tel fut le principe du kolkhoze pendant cette phase d'accumulation primitive - ou pour mieux dire, sauvage. Par le truchement des livraisons obligatoires (15 % de la production kolkhozienne en 1938) et des paiements aux M.T.S. (16 % en 1938), l'Etat s'appropriait le tiers en moyenne de la production kolkhozienne, et cela à des prix si bas que ces «ventes» kolkhoziennes n'étaient en réalité qu'une forme à peine voilée d'impôt en nature, analogue à l'annone et à la coemptio du Bas-Empire. Jusqu'en 1956, les recettes provenant des livraisons à l'Etat étaient si basses qu'elles restaient inférieures au prix de revient des produits agricoles : dans certains cas, en I 948 encore, elles ne couvraient pas même la moitié des charges incombant au kolkhoze: impôts, frais courants d'exploitation et d'administration (W., p. 126)... Suivant les statistiques officielles (cf. B., p. 311 et J ., p. 699), le partage de la récolte en blé et plantes légumineuses dans les kolkhozes en 1938-40 ne donna aux kolkhoziens comme revenu net qu'à peine le quart de la production (26,9 % en 1938, 22,9 % en 1939-40). Encore une fois, on pense au métayage tel qu'il est pratiqué dans les pays les plus retardataires, de structure plus ou moins coloniale : le terme arabe pour métayer (mraba, c'est-à-dire : qui participe au quart) · pourrait également s'appliquer au kolkhozien soviétique. En combinant le travail obligatoire et les livraisons forcées, en transformant la campagne tout entière en une sorte de province annonaire (comme la Sicile le fut pour Rome et l'Egypte pour Byzance), le régime résolut la crise des céréales, laquelle avait pris les proportions d'une véritable crise de régime à la fin des années 20. En effet, l'opération permit à l'Etat de confisquer le tiers de la production agricole (au lieu des 11 % qu'il avait obtenus en 1928-29 par le moyen des échanges et au prix du marché libre). C'est par ces méthodes « militaires-féodales » (comme disait Boukharine) d'exploitation des paysans que l'Etat a pu réaliser l' « accumulation primitive » du capital. Plus précisément, la vente à des prix très élevés des céréales, « achetées » à des prix de spoliation et par des mesures de contrainte inqualifiables, a permis à l'Etat de constituer la majeure partie des investissements. Pour donner une idée de l'importance de cette « méthode féodale-militaire » d'accumulation, disons qu'en 1937 le tiers des recettes fournies par l'impôt sur le chiffre d'affaires (le plus imporBiblioteca Gino Bianco 93 tant des impôts soviétiques) et près d'un quart des revenus budgétaires étaient dus aux céréales extorquées par la violence. Evidemment, pareille spoliation des consommateurs urbains impliquait la destruction complète des organisations ouvrières, l'émasculation systématique du pouvoir d'achat, la fin de l'égalitarisme, l'élimination brutale des opposants à l'intérieur et à l'extérieur du parti unique, bref, la transformation de la terreur matérielle, morale et «idéologique» en principal moyen de gouvernement : dans ce sens, le «stalinisme » fut l' expression «superstructurelle » de l'avènement de la classe totalitaire. D'autre part, il va de soi que cette gigantesque contre-révolution, qui frustra le paysannat de toutes les conquêtes de la victoire de 1917-21, ne pouvait triompher sans un vaste appareil de contrôle, de surveillance et de gestion, sans la création ex nihilo d'une nouvelle classe de bureaucrates ruraux, analogue à la classe des «hommes de service » que les opritchniki d'I van le Terrible avaient installés sur les terres des boyards exterminés et des paysans réduits au servage. Ainsi, dès 1931, le régime s'acharna à pousser au maximum la différenciation de la population agricole en créant une nouvelle espèce d' « aristocratie ouvrière » (un million et demi de personnes en 1940), constituée par le personnel des M.T.S., et en multipliant les hiérarchies à l'intérieur du kolkhoze. Comme les châteaux forts du Moyen Age, les M.T.S. ont été l'instrument principal à la fois de l'exploitation économique et de l'oppression politique des paysans. Le paiement de leurs «services », à tous points de vue comparables aux «banalités» féodales, étant effectué en nature, les M.T.S. · servaient avant tout d'organe collecteur. En même temps, elles constituaient le principal support, sinon l'unique représentant du Parti dans les campagnes. En 1949 encore, 85 % des kolkhozes étaient dépourvus de cellules du Parti : la grosse majorité des communistes ruraux était concentrée dans les M.T.S. Il n'y a donc pas à s'étonner si le personnel des M.T.S. bénéficiait des plus hautes rémunérations : le kolkhozien affecté aux travaux les plus simples (catégorie I) devait travailler 49 jours pour obtenir ce que le tractoriste recevait en une seule journée de travail sur les mêmes terres. La différence va de I à 98 (W., p. 133) si l'on compare le tractoriste desservant les kolkhozes riches et le kolkhozien le moins bien payé dans les kolkhozes pauvres: la rente de Ricardo s'est largement amplifiée en U.R.S.S. Parallèlement, le système des rémunérations fut périodiquement révisé afin de liquider l' «égalitarisme petit-bourgeois » et de consolider l' oligarchie privilégiée. Les quatre catégories de rémunérationexistant en 1931 furent remplacées en 1933 par sept catégorieset l'éventail des rémunérations alla de I à 4 (deux fois plus ouvert que celui qui résultaitde la répartitionantérieure).
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