Le Contrat Social - anno VII - n. 2 . mar.-apr. 1963

88 bonnes récoltes dans un pays ruiné avaient suffi à justifier la volte-face» ... La direction Boukharine-Staline déclarait ces réserves inexistantes (« les moujiks ont thésaurisé 400 millions de roubles, soit 4 par tête », disait non sans raison Dzerjinski en 1926) et tournait en dérision la « déviation industrialiste » des partisans de Trotski. En avril 1926, Staline affirmait que !'U.R.S.S. avait autant besoin du barrage sur le Dniepr qu'un paysan sans charrue d'un phonographe : « On ne peut développer l'industrie dans le vide, disait-il. On ne peut développer l'industrie s'il n'y a pas de vivres pour les ouvriers, s'il n'y a pas une agriculture tant soit peu développée, marché principal de l'industrie 3 • » Jusqu'en 1928, on croyait que le « superindustrialisme » et l'hostilité envers le koulak étaient les signes distinctifs de l'opposition trotskiste exclue du Parti (décembre 1927) et traquée dans tout le pays. Or, une semaine après que Trotski eut pris le chemin de l'exil, la crise des céréales qu'il avait prédite depuis deux ans était en train de devenir la crise du régime. Formellement, la crise de 1928 n'était pas plus grave que celle de 1923-24 : les quantités de grain vendues par les paysans étaient de 2,2 millions de tonnes inférieures au minimum nécessaire au ravitaillement des villes. Mais cette fois le Parti répondit par des « mesures exceptionnelles» qui, de proche en proche, aboutirent à l'une des plus grandes révolutions agraires de tous les temps. La « troisième révolution » C'EST qu'entre-temps la nouvelle classe avait mûri, grandi en nombre, consolidé sa pos1t1on, unifié sa direction et surtout créé l'immense appareil bureaucratique et terroriste qui allait lui permettre de trancher par la violence le problème social qu'elle était impuissante à résoudre par des moyens relevant de l'économie. Cette fois encore, la révolution menait les hommes plus qu'elle n'était menée par eux. Dans l'imagination de Trotski, l'industrialisation et la « collectivisation » devaient affaiblir la bureaucratie dont il dénonçait l' « alliance avec les koulaks » : c'est ainsi que Zinoviev et Kamenev virent dans le mas~acre des paysans le triomphe du prolétariat ... Ne pouvant accepter - et pour cause... - le fait d'évidence que son propre programme d'industrialisation et de collectivisation sans démocratie était le vrai programme de la bureaucratie, Trotski s'est condamné à donner une image de plus en plus mythologique de la prétendue « koulakophilie » de celle-ci et à l'accuser de vouloir restaurer le capitalisme... La bureaucratie, écrivait-il dans son dernier ouvrage, « n'a pu s'aventurer encore (sic) à la restauration de l'appropriation privée des moyens de production 4 ». 3. Cité par Souvarine, p. 395. 4. L. Trotski : Staline, 1948, p. 559. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Un peu plus loin (p. 563), nous apprenons que ... ... maintenir la nationalisation des moyens de production et de la terre, c'est une loi de vie ou de mort pour la bureaucratie, car c'est la source sociale de sa position dominante. Ce fut la raison de sa lutte contre le koulak. Ces affirmations contradictoires expriment la confusion idéologique de l'opposition et expliquent dans une large mesure la capitulation de ses représentants les plus éminents : Trotski lui-même y verra la preuve de l' « appui donné par le prolétariat (sic) à la bureaucratie » (p. 563)... Combien peu décisif fut le « rôle de la personnalité » dans ce tournant de l'histoire, c'est ce qu'on peut· constater par les déclarations de Staline 5 jusqu'à la fin de 1929 : jusqu'au dernier moment il fut un « modéré » en matière d'industrialisation et de « collectivisation ». Ainsi, en janvier 1926, il dénonçait la « panique de l'opposition devant le koulak » (1, 161, 162) et fustigeait ... ... la hâte avec laquelle l'opposition s'est raccrochée aux chiffres inexacts (sic) sur la différenciation de la paysannerie, la singulière facilité avec laquelle elle oublie que le paysan moyen est la figure centrale de l'agriculture (I, 162). En mai 1928, alors que la famine s'installait dans les villes russes et qu'une avalanche de « mesures d'urgence » (raids contre les maisons des paysans, pillage des granges) s'abattait sur les campagnes, Staline découvrait (1, 197) l'existence de la « classe des koulaks dont le principe économique est l'exploitation de la classe ouvrière » (sic), mais proclamait en même temps sa volonté de « soutenir la petite et moyenne exploitation paysanne» (1, 199), tout en rappelant (à ses anciens coéquipiers : Boukharine, Rykov, etc., désormais accusés de « déviation de droite») la conception (extravagante) de Lénine selon laquelle « le paysannat est la dernière classe capitaliste » (1, 202, 244, etc.) ... En juin 1928, battant en retraite devant la résistance des paysans, ralliés derrière les paysans cossus contre les confiscations et les arrestations arbitraires, Staline dénonçait.... · ... ceux qui cherchent à transformer les mesures extraordinaires pour le stockage du blé - mesures d'ordre provisoire - en orientation permanente de notre politique, créant ainsi une menace pour l'alliance (sic) des ouvriers et des paysans (I, 208). Il déclarait par la même occasion que« l'expropriation des koulaks serait une folie » (1, 208). Pour corpbler le déficit des 2,2 mi11ionsde tonnes de blé manquant au ravitaillement des villes, il pensait qu'il suffisait de combiner les « mesures exceptionnelles » avec la collectivisation d'une 5. Les chiffres romains et arabes entre parenthèses renvoient au volume et à la page des Questions du Léninisme, de Staline, Paris 1946. ,.

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