K. PAPAIOANNOU cole totale) et ses excédents commercialisés insignifiants (4,4 % du total), les koulaks devinrent vite les principaux fournisseurs du marché des céréales : en 1927-28, près de 39 % du blé destiné au commerce était entre les mains de 10 % des cultivateurs (B., p. 199). En outre, l'insuffisance de la production agricole (qui n'a retrouvé son niveau d'avant guerre qu'en 1927) et l'augmentation relative de la consommation paysanne (résultat de l'abolition de l'exploitation « féodale ») ont eu pour conséquence une diminution catastrophique de la quantité des céréales présentées au marché: on estime qu'en 1925 les fermiers ne vendaient à la ville que le tiers des denrées alimentaires livrées par eux avant guerre. Enfin, la pénurie de produits industriels était telle qu'il était objectivement impossible de fournir aux paysans une raison valable d'écouler leurs excédents sur le marché. Cette situation entraînait des conséquences qui offrent plus d'une analogie avec la politique d'approvisionnement des villes précapitalistes du Moyen Age. Là aussi, une industrie chétive était incapable de rayonner dans les campagnes et d'attirer les surplus agricoles sur le marché urbain. Dans ces conditions, il s'agissait d'empêcher par tous les moyens économiques - et surtout extra-économiques - toute hausse du prix des vivres. On le sait, le développement de l'économie urbaine et l'essor de l'urbanisation mirent fin à cette « dictature de la ville sur la campagne ». A partir des xv1e et xvn° siècles, le moyen économique se substitue au « moyen politique ». De plus en plus riches et peuplées, les villes peuvent désormais - pour la première fois dans l'histoire - se permettre le luxe de payer n'importe quel prix pour assurer le ravitaillement des masses urbaines en denrées alimentaires. Ainsi, entre 1500 et 1800, le prix du blé pas5l en Angleterre de l'indice 100 à l'indice 275, et en France de l'indice 100 à l'indice 572, alors que les prix des métaux et des textiles n'augmentaient que de 30 % : cette hausse constante des prix agricoles et le remarquable essor de l'agriculture qu'elle provoqua traduisent le renversement révolutionnaire du rapport des forces traditionnel entre la ville et la campagne et illustrent « le rôle révolutionnaire du capitalisme dans l'agriculture » qu'exalte Marx. Tout autre était la situation pendant la nep: on peut y voir une éclatante confirmation de la thèse d\!s menchéviks (qui fut aussi celle de Lénine jusqu'en avril 1917) sur l'immaturité de la Russie pour le socialisme. Les « ciseaux » EN EFFET, l'industrie, qui se relevait lentement de la ruine, produisait peu de marchandises, et cela à des prix très élevés. Le « manque de liaison entre l'agriculture et l'industrie », dans lequel Biblioteca Gino Bianco 87 Lénine voyait l' « origine économique du bureau&., cratisme », se manifestait par la disparité périodiquement renaissante des prix agricoles et industriels que Trotski caractérisa comme le « phénomène des ciseaux ». Ainsi, pour obtenir la même quantité de produits manufacturés, le paysan devait vendre, en 1927, deux fois plus de denrées agricoles qu'en 1913 (B., p. 67). Comme dit Jasny (p. 210), « la situation était certainement moins satisfaisante pour les paysans russes durant les années 20 que pendant la période 1880-1900, où ils étaient spoliés par des prix défavorables ». Ils se défendaient en réclamant la réduction des impôts, la hausse des prix des livraisons à l'Etat, puis en diminuant les emblavures et en limitant les ventes au marché. Le résultat fut un rétrécissement catastrophique du marché des céréales. La fraction commercialisée de la récolte globale s'élevait à 20,3 °/4 en 1913. Ce pourcentage tombait à 14,3 % en 1924-25, à 13,2 % en 1925-26, à 12,1 % en 1927-28 et à I 1,1 % en 1928-29 : le ravitaillement des villes en fut gravement compromis et l'exportation de blé (une des principales ressources de l'Etat) réduite au quart de sa valeur d'avant guerre (J., p. 231). Les crises successives des « ciseaux » furent le reflet de l'équilibre relatif des forces entre les trois classes fondamentales à l'époque de la nep. On le sait, les prix démesurément exagérés des produits industriels étaient dus, d'une part, à l'énorme accroissement des frais d'entretien d'un appareil bureaucratique pléthorique : presque 19 % du revenu national contre 8,5 % avant guerre, d'autre part, à l'augmentation des salaires réels des ouvriers qui avaient dépassé de 22 % le niveau de 1913 (B., p. 148). Enfin, la grève des ventes exprimait l'indépendance relative des paysans et la position de force occupée par les koulaks. A la première crise des « ciseaux », celle de 1923-24, le Parti répondit par des moyens purement économiques en abaissant de 25 à 40 % les prix industriels. Cette politique de conciliation devint par la suite la politique officielle du Parti après la révolte paysanne de Géorgie (été 1924). C'était le temps où Boukharine conseillait ouvertement aux paysans de «s'enrichir», tandis que Staline se faisait leur défenseur et allait jusqu'à préconiser la restauration de la petite propriété rurale, et par conséquent la dénationalisation du sol. Trotski lui-même proposait, en septembre 1925 encore, d'élargir « le champ des rapports capitalistes-marchands à la campagne >> et de renforcer l' « économie capitaliste /armer» afin de stimuler le relèvement, « fftt-ce à l'aide des méthodes capitalistes 2 ». Deux ans plus tard, il découvrira le « danger koulak » et verra dans les réserves des paysans aisés la source où l'Etat pouvait puiser des subsides pour l'industrialisation : comme dit Souvarine (p. 396), « deux 2. Cit~ par B. Souvarinc : Staline, Paris 1935, p. 364.
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