Le Contrat Social - anno VII - n. 2 . mar.-apr. 1963

LA MATIÈRE ET LA FORME par Yves Lévy DÉMOCRATIE ET MONARCHIE, dit Platon, sont mères de tous les régimes, car il faut que tout régime soit l'un ou l'autre, ou mêlé de l'un et de l'autre. Pour le philosophe grec, la démocratie est source de concorde et de liberté, mais la démocratie pure tombe dans la licence, où seules sont écoutées les passions. La monarchie, elle, est source de sagesse, mais monarchie pure, c'est despotisme, c'est ruine de la liberté, et sans la liberté, fondement de la valeur militaire, l'Etat n'est pas bien défendu. Platon souhaite donc un régime mixte où, harmonieusement dosées, démocratie et monarchie procureront la sagesse en même temps que (par la liberté) la concorde, la fraternité. La théorie du régime mixte a connu une grande faveur. Polybe et Cicéron l'ont reprise dans l'Antiquité, saint Thomas au moyen âge, Machiavel au seuil des temps modernes. Ce régime idéal peut-il s'instaurer partout ? Est-il possible, est-il souhaitable, dans n'importe quel Etat, de transformer les institutions en s'inspirant d'un modèle idéal ? Cette question n'a pas laissé d'être discutée. Exprimons-la en d'autres termes : existe-t-il un régime politique qui soit, partout et en toutes circonstances, meilleur que tout autre ? Ou encore : y a-t-il une forme qui soit la meilleure quelle que soit la matière qu'on ait à y couler, ou doit-on dire que chaque matière exige une forme qui lui soit adaptée? C'est là une question qui ne cesse d'être actuelle. On demandait à Solon, conte Plutarque, si les lois qu'il avait données à Athènes étaient les meilleures qui fussent, et Solon répondit que c'était du moins les meilleures qui convinssent alors aux Athéniens. Vingt-cinq siècles plus tard, nous voyons dans le monde entier contester dans les principes et accepter dans les faits un semblable relativisme. Les exemples foisonnent. C'est ainsi que récemment M. Alfred Grosser Biblioteca Gino Bianco examinait les arguments présentés pour la justification des partis uniques dans les nouveaux Etats de l'Afrique noire, et ses réflexions ont ensuite servi de thème à plusieurs auteurs 1 • Il ne s'agit là nullement d'une dispute académique, comme on a pu s'en convaincre en suivant les informations qui nous sont venues, depuis, des pays dont les régimes étaient en discussion. Un problème analogue se pose dans bien d'autres contrées, soit qu'il s'agisse de territoires récemment sortis du despotisme colonial, ou d'Etats qui ont fraîchement renouvelé leur structure constitutionnelle. Là où l'on instaure un régime démocratique, le monde extérieur imagine aussitôt que la matière ne supportera pas cette forme idéale, et tandis que les uns sont obsédés par le péril communiste, les autres voient la nouvelle démocratie se convertir en jouet et instrument de l'impérialisme et du fascisme. En revanche, dans un pays où décroît la part de la démocratie, les dirigeants ne manquent pas d'exposer que mille circonstances les contraignent à limiter la liberté, la matière qu'ils ont trouvée exigeant une forme plus ou moins éloignée de cette pure démocratie que l'actuelle mode internationale oblige à considérer comme la seule forme légititne de gouvernement en même temps que la plus désirable. Mais avant d'examiner les affaires de notre temps, rappelons l'essentiel de ce qu'on a pensé sur les rapports de la matière et de la forme. * .,,. .,,. A L'AURORE des temps classiques Hérodote, déjà, met en scène le problème de la meilleure forme, et aborde celui de la résistance de la matière. A vrai dire, la discussion sur les mérites respectifs de la démocratie, de l'oligarchie et de la monarchie 1. Voir Preuve,, depuis juillet 1962.

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