Le Contrat Social - anno VII - n. 2 . mar.-apr. 1963

76 l'ordre arriva du Kremlin de tomber sur lui à bras raccourcis. · Tout le monde employait librement le terme <<koulak».L'existence de cette catégorie sociale fut reconnue comme un phénomène inéluctable, à moins de nier la « loi de la différenciation». Mais la droite n'ignorait pas que le type du koulak d'avant guerre n'existait plus que sous forme d' « unités en voie d'extinction». Et comme il fallait quand même découvrir le « koulakvampire », on se mit à qualifier ainsi le paysan qui possédait avant ou après la révolution des terres acquises, un moulin, un commerce. L'enquête budgétaire de 1925 démontra que parmi les paysans ayant ensemencé plus de 16 déciatines, certains emblavaient sensiblement la même superficie avant la guerre. En Ukraine, dans la région des steppes, 39 % des entreprises agricoles maintenaient leurs emblavures ; dans le centre, 21 %; en Russie blanche, 44 %. Tous ces paysans cultivant plus de 16 déciatines furent décrétés koulaks. Mais qu'est-ce qui séparait l'exploitation paysanne ayant plus de 16 déciatines d'emblavures des exploitations plus réduites ? Le « recensement dynamique» de 1927 répondit à la question. Dans les entreprises cultivant jusqu'à 2 déciatines, on comptait généralement 4,3 personnes par famille, dans celles cultivant de 2 à 8 déciatines, 5,2 personnes, et dans celles emblavant plus de 16 déciatines, la moyenne par feu était de 6,4 personnes. Ni le « sang sucé», ni l'usure, ni l'exploitation des paysans pauvres, mais seulement une maind'œuvre familiale plus nombreuse donnait à certains paysans la possibilité de cultiver une superficie plus grande, d'élever plus de bétail, de vendre plus de grain, d'acheter plus de matériel agricole, d'acquérir plus d'aisance. Mais pour empêcher pareille inégalité au village, pourquoi ne serait-on pas allé jusqu'à ordonner à toutes les exploitations paysannes d'avoir le même personnel ouvrier ou familial, et pour cela réglementer les naissances... La droite misait sur le « bon paysan moyen » qui développait son exploitation pour le plus grand profit du pays tout en s'assurant plus d'aisance. En même temps, le dogme l'obligeait à traiter ce paysan aisé de koulak, c'est-.à-dire d'ennemi. La droite, qui ressentait cette contradiction dramatique, tentait de la dissimuler sous des formes « diplomatiques », sans avoir le courage de la surmonter. Lorsque Boukharine lança son mot d'ordre: «Enrichissez-vous!», destiné non au « koulak-vampire », mais au paysan moyen évoluant vers l'aisance, il fut à trois reprises obligé de le répudier. Soutenant qu'entre koulak et paysan aisé il était impossible de faire le départ, Rykov disait : Pour complaire à Trotski, Piatakov, Zinoviev, nous appelons koulak l'authentique paysan moyen qui aspire très légitimement à devenir un paysan aisé. Combien notre politique agraire eiit été plus claire et fructueuse si Trotski et consorts ne nous avaient pas gênés .•. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Le commissairede l'Agriculture, V. P. Smirnov, fort bien informé, comprenait mieux que quiconque cette contradiction. Tenu par le dogme de mentir et d'inventer le «koulak-vampire », Smirnov signalait « l'exploitation malfaisante, les accords léonins, l'usure» pratiqués dans les campagnes, au moment même où dans sa brochure: Nos problèmes fondamentaux pour développer et organiser l'entreprise paysanne, il écrivait : La confusion vient de ce que l'on range parmi les entreprises koulaks, avec toutes les conséquences qui en découlent, l'entreprise paysanne solide que l'on trouve dans la couche aisée des paysans moyens. (...) Koulak est devenu un cri qui, dans la proportion de 90 %, est poussé contre le moujik dont le cheptel mort n'excède pas les limites prévues pour la jouissance du sol fondée sur le travail. (...) Le koulak comme catégorie sociale pourrait difficilement naître sur le lopin accordé au travailleur, car la possession du capital cheptel ne constitue pas une base pour l'exploitation [de l'homme par l'homme] et le processus d'accumulation à la campagne s'opère précisément sous forme d'accroissement du cheptel. Bref, Smirnov n'apercevait pas de vampirekoulak au village, mais, par crainte d'être accusé de nier la « loi de la différenciation », il faisait sem_blantde voir le «vampire». C'était la règle du Jeu. Les travaux de statistique étaient placés sous sa direction : en général, ces travaux étaient alors d'une haute tenue, mais dès qu'il était question de la « différenciation » et du koulak, on alignait des chiffres tendancieux assortis de commentaires fallacieux. Ce qui précède donne une idée de l' « armure idéologique » forgée par Boukharine. Lors du Comité central d'octobre 1925, il rédigea une note où il constatait l'existence de deux déviations : la première consistait à sous-estimer le danger créé par l'accroissement des éléments bourgeois et capitalistes dans les villes, des koulaks dans les campagnes, conséquence de la différenciation en cours ; la seconde, à ne pas tenir suffisamment compte du paysan moyen, à ne pas comprendre qu'il était possible de s'allier avec lui, à craindre de le voir saper la « dictature du prolétariat». Le Comité central évita prudemment de trancher. C'est pourquoi, sous la formule balancée proposée par Boukharine, les droitiers aussi bien que Zinoviev, Kamenev et leurs adeptes apposèrent leur signature. En l'occurrence, les deux fra~o~s manquaie~t de sincérité : l'opposition es~ait que, honms le danger koulak, il n'y en a':a~t _pas d'autre; ,se~on les boukhariniens, la dev1at1on koulak et~t . l?urement imaginaire, alors 9?e la seconde dev1at1onmenaçait de saper la politique de 1925 dans les campagnes et menait à l'abandon de la nep, aux méthodes de dékoulakisation. , C'EST pénétrés de cette conviction que les boukhariniens se rendirent au XIVe Congrès (18-31 décembre 1925), qui fut d'un intérêt

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