DU GOUVERNEMENT DE LA LIBERTÉ SELON ROUSSEAU par Zygmunt Jedryka POUR Rousseau, «tout tient radicalement à la politique 1 », ce qui signifie, dans un siècle de critique universelle et de révolution dans les structures politiques, économiques et sociales, que l'homme est le principal artisan de l'histoire. Deux principes lourds de conséquences découlent de ce postulat : la légitimité et l'autonomie de la création humaine dans la politique ; l'institutionalisation de cette création dans l'ordre nouveau de la démocratie, c'est-à-dire dans l'ordre de la liberté et de la justice pour tous. La sensibilité démocratique de Jean-Jacques, de ce «chrétien d'instinct », ne s'est jamais égarée dans une rêverie faisant surgir un système politique idéal d'où la misère et la «corruption» seraient exclues par la simple volonté d'un souverain bienveillant. Elle ne s'est jamais laissé émousser par les transports littéraires d'une âme assoiffée de bien public. Pour elle, point de liberté et point de justice sans une refonte de l'ordre social, sans l'établissement d'une nouvelle légitimité politique, sans le triomphe d'une nouvelle éthique et d'une nouvelle pédagogie de l'homme, du travailleur. Aucun compromis ne pouvait être tenté entre l'ancien régime de droit divin et les forces de la nouvelle légitimité fondée sur le Contrat social et l' «économie politique populaire». L'ordre nouveau ne se cantonne point dans l'immobilisme politique des physiocrates ; il rejette les conceptions économiques de la physiocratie comme contraires au système conventionnel de l'économie 2 • Rousseau ne se satisfait point de la 1. Confessiom, partie II, liv. IX. 2. • Quoi qu'il arrive, ne me parlez plus de votre despotisme l~gal, ~rivait Rousseau au marquis de Mirabeau le 26 juillet 1767. Je ne saurais le goOter ni même l'entendre; et je ne vois là que deux mots contradictoires, qui réunis ne signifient rien pour moi (...). Votre syst~me ~conomique est admirable. Rien n'est plus profond, plus vrai, mieux ou plus utile. Il est plein de grands et sublimes m~rites qui transportent. Il a'~tcnd à tout : le champ est vaste; mais Biblioteca Gino Bianco cnt1que de l'absolutisme, de la religion, des «préjugés », comme Voltaire. Il vise la réforme de l'homme en général, de l'homme au travail en particulier. A la différence des Encyclopédistes, le Genevois ne se borne pas à réhabiliter les arts utiles : il réclame le progrès social, culturel et politique des « travailleurs », il fait de leur « souveraineté » dans l'Etat démocratique l'impératif catégorique de sa pédagogie et de sa morale politique. Au XVIIIe siècle, pour faire de cette maxime une règle de droit, il importait tout d'abord d'affranchir le monde du travail de l'esclavage et du mépris général dans lequel l'avait plongé le règne de l' « état civil », l'état permanent et universel de «corruption». Il fallait donc réhabiliter le travailleur, le hausser a la condition d'homme, de citoyen où le rejoindraient le « publicain » et le prince après leur apprentissage du métier d'homme et leur conversion à la démocratie. Ce principe de la fraternité révolutionnaire n'est pas formulé explicitement dans le Contrat social, mais il apparaît déjà dans les trois Discours, dont celui contenu dans le volume V de !'Encyclopédie, et il est dans la logique de l' Emile, paru la même année que le traité politique, en 1762.· Il est bon de rappeler, à l'occasion du deux-centième anniversaire de ces œuvres maîtresses, que l'affranchissement du travail à l'égard de l' «économie politique tyrannique» est loin d'être chose faite. Cela même dans les pays les plus évolués démocratiquement, alors que la souveraineté politique du citoyen fait partie des traditions solidement établies. La crise actuelle de la démocratie naît de cet hiatus. j'ai peur qu'il n'aboutisse à des pays bien différents de ceux où vous prétendez aller, ainsi suis-je fâché de vous dire que tant que la monarchie subsistera en France, il n'y sera jamais adopté» (Correspondance générale, Dufour et Plan, t. XVII, n° 42, p. 158). Les mots concernant la monarchie française n'y figurent pas. Nous les citons d'après le Contrat social présent~ par Dreyfus-Brissac, Paris 1896, Introduction, p. xxv, qui fait ~tat du brouillon de cette lettre conservœ à la Biblioth~que de Neuchâtel (n° 7901 du catalogue).
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