Le Contrat Social - anno VI - n. 6 - nov.-dic. 1962

CONSTANCE DU DESPOTISME SOVIÉTIQUE par Bertratn D. Wolfe . visme avait cinquante ans. Son originalité E N 1953, à la mort de Staline, le bolchéquant à l'importance de l'organisation, de la centralisation, de la tutelle ou dictarure exercée par une avant-garde ou élite, date des écrits programmatiques de Lénine : Par où commencer? et Que faire? (1902). Quant à l'appareil manipulé de manière autoritaire, il remonte à la scission de 1903. Durant ce demi-siècle, le bolchévisme n'a eu que deux dirigeants incontestés, chacun à son tour lui imprimant la marque de sa personnalité. Certes, chez Lénine, la part héritée de l'autocratie tsariste était grande, mais son totalitarisme procédait d'un principe différent du vieux despotisme moscovite. Il se considérait comme un marxiste orthodoxe, se fondant sur certains aspects des conceptions de Marx et tantôt les développant, tantôt en ignorant, dénaturant ou travestissant d'autres. Son marxisme était si différent de celui de Marx qu'un commentateur pourtant bien disposé, Charles Rappoport, le qualifia de « blanquisme à la sauce tartare ». Quant au léninisme de Staline, il tranchait sur le marxisme de Lénine au point de mériter l'appellation de marxisme à la mode caucasienne. On discerne néanmoins une plus grande continuité entre Staline et Lénine qu'entre Lénine et Marx. Les changements introduits par Staline prolongeaient et amplifiaient certaines méthodes et conceptions de Lénine, en même temps qu'ils en altéraient d'autres. Staline hérita et utilisa, tantôt d'une manière léniniste, tantôt à sa propre manière stalinienne, une puissante armature institutionnelle : appareil du Parti, appareil de l'Etat, doctrine de l'infaillibilité, volonté bien arrêtée de renforcer le pouvoir to~al afin de · créer le « nouvel homme communiste » et d'imposer le communisme au monde entier. · Bibli.oteca Gino Bianco Depuis la mort de Staline, sont apparus ·de nouveaux dirigeants, ou un nouveau dirigeant. Il est difficilede croire que cette nouvelle empreinte personnelle ne fera pas subir d'altérations au stalinisme, comme Staline l'avait fait pour le léninisme. Mais il semble utile de ne pas perdre de vue, dès l'abord, que ces « hommes nouveaux » ne sont guère nouveaux, qu'ils ont hérité d'une entreprise dotée d'une puissante armature institutionnelle, de sa dynamique et d'une vitesse acquise, bref d'une entreprise déjà puissante et bien assise;· et qu'en fait nous assistons à des changements à l'intérieur d'une société à centre unique, société fermée, hautement centralisée, régie par un pouvoir à la fois total - car non partagé - et totaliste dans ses aspirations. De telles sociétés ont tendance à présenter des pouvoirs figés et durables, en dépit de la mort d'un despote, d'un interrègne oligarchique ou d'une lutte pour la succession. Ces « hommes nouveaux » sont, certes, des hommes de Staline. Ils n'auraient aujourd'hui aucun titre au pouvoir sur une grande nation s'ils n'avaient réussi à survivre comme proches lieutenants de Staline au ·moment de sa mort. Ces hommes donnent plutôt l'impression de manquer d'envergure. Il y a un mode de sélection dans les despotismes personnels suivant lequel le despote s'entoure de courtisans, de sycophantes, de simples exécutants, de beni ouioui, qui exclut les esprits originaux et hardis. _Cequi entraîne, presque à coup sûr, une crise de succession là où fait défaut un système de légitimité, jusqu'à l'affirmation d'un nouveau dictateur. Qui plus est, les héritiers de Staline ne sont plus jeunes (Khrouchtchev approche de soixante-dix ans), si bien qu'une nouvelle crise de succession peut survenir avant que la présente, simplement larvée., soit surmontte.

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