288 fait quelque chose jadis qui lui ait déplu, ou bien a- .t-il tenu plus tard des propos ?..• Je ne peux lui en parler une seconde fois, je ne veux pas courir ce risque. C'est tout ce que j'ai à te dire. Je l'avoue. - Je vais essayer moi-même, s'écria Serpiline. - Je ne te le conseille pas », répondit Ivan Alexéïévitch. Un sixième sens lui disait qu'on ne pouvait rien pour Grinko, mais qu'il fallait empêcher Serpiline de faire une de ces démarches imprudentes dont le danger, même de loin, échappait à des gens qui ne connaissaient que par ouï-dire ou par de vieux souvenirs l'homme de chez qui il était sorti une heure plus tôt. Les deux vieux amis parlent ensuite de questions militaires. Cet entretien présente beaucoup d'intérêt (il recoupe en quelque sorte le récit de la tragédie de Kharkov dont il a été fait mention plus haut), mais il n'est pas possible de l'analyser dans le présent article. Il y 'a autre chose : les pensées exprimées à voix basse par Ivan Alexéïévitch sur Staline. Et bien que cela se rapporte à 1943, le lecteur a l'impression très nette qu'aujourd'hui encore beaucoup de communistes. de l'ancienne génération voient Staline sous ce Jour : « En effet, Staline, c'est Staline. Et c'est tout dire, bien qu'on en sache sur lui plus que beaucoup d'autres, qu'on sache ce qu'il y a eu avant la guerre, ce qu'il y a eu au début et qu'on sache même ce qui ne passerait sous aucun portique. Il est grand en ceci que quelque chose en lui a vacillé au début de la guerre et s'est ensuite raffermi. Qu'il soit terrible ? On le sait, et mieux que beaucoup d'autres. Chaque fois qu'on se rend auprès de lui au rapport, on sait que sa main ne tremblera devant rien. Où finit la volonté et où commence l'obstination à peine croyable qui parfois coûte des dizaines de milliers de vies humaines et des cimetières de matériel - on ne le comprend pas toujours d'emblée. En même temps, l'autorité de son nom est immense. Nous traînons un peuple entier à bout de forces - mais qui n'a qu'un nom en tête : Staline. Soit. Mais à condition de penser de lui ce qu'en pensent les autres, de savoir seulement qu'il est grand et d'ignorer ce qu'il vaut mieux ignorer. Cependant, parfois on n'arrive pas à se délivrer du sentiment qu'on ne sait pas tout ... Et, certainement, c'est comme ça... » Nous n'avons cité que quelques exemples typiques de la façon dont la terreur stalinienne est à l'heure actuelle mise en lumière dans des œuvres littéraires. Des matériaux de ce genre pullulent et le sujet est plus vaste que celui des revenants. ·Dans le roman de Pavlova, dont il a été question plus haut, Martianov, le secrétaire du comité de district du Parti, apprend, quelques jours _seulementaprès avoir entendu le récit du retour de « Valéri », quel a été le sort d'un ami d'enfance qu'il a longtemps recherché en vain et qui, revenu de la guerre jeune lieutenantcolonel et deux fois décoré de l'ordre des Héros de l'Union soviétique, fut fusillé en 1949 et, un Bi·bJioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE an plus tard, réhabilité. Continuant son autobiographie, Les Hommes,les années,la vie, Ehrenbourg parle, dans le numéro de mai du Novy Mir, des hécatombes d'écrivains et de journalistes qui l'abasourdirent lors de son retour d'Espagne à Moscou, en 1937. Le roman de ~ Iouri Bondariev, Silence (dans Novy Mir, marsjuin 1962), . aborde un sujet connexe : la campagne, en 1949, contre les « ·cosmopolites» (l'auteur touche prudemment au côté antisémitique de cette campagne) et, sans aucun rapport avec elle, Bondariev décrit l'arrestation d'un vieux communiste soupçonné de «trotskisme». A l'heure actuelle, des écrits particulièrement hardis sont consacrés aux victimes de la machine à broyer des épurations. Récemment encore, même après les réhabilitations, leur sort tragique était ·passé sous silence. A cet égard, un exemple frappant est le livre : Les Stratèges de la guerre civile, publié dans la seconde moitié de 1960 par les éditions de la Jeune Garde. Cet ouvrage donne dans le style emphatique un portrait biographique des héros de la guerre civile, dont neuf eurent la chance de mourir avant que les cadres de l'armée fussent décimés. Des survivants, un seul, Oka Gorodovikov, ne fut pas touché par l'épuration et, quand il mourut, ce livre avait déjà vu le jour. Les trois autres (A. I. légorov, V. K. Blücher et E. I. Kovtiouk) périrent : les deux premiers furent fusillés, le dernier (préfigurant Kojoukh, du Torrent de fer de Sérafimovitch) mourut, en 1943, dans un camp de concentration. Mais l'ouvrage ne souffle mot ni de leur condamnation ni de leur réhabilitation, comme si cela n'existait tout simplement pas ; la date de leur mort n'est même pas indiquée (alors qu'elle est mentionnée pour les autres). Jusqu'à ces derniers temps, telle était, en règle générale, l'attitude adoptée à l'égard des réhabilités. Pour beaucoup de ceux-ci, cette façon d'agir persiste aujourd'hui encore, mais en ce qui concerne les chefs militaires exécutés, après les déclarations formelles de Khrouchtchev au XXII° Congrès, les choses ont changé. A l'heure actuelle, les écrits littéraires les présentent comme <l'innocentes victimes de la terreur stalinienne. Exemple : Novy Mir (n° de février) a publié sous le titre : Noms glorieux, pages glorieuses, un article de I. Doubinski; l'auteur qui, au début des années 30, était secrétaire militaire du Conseil des commissaires du peuple d'Ukraine, évoque avec une sympathie particulière la mémoire de Iakir ; il fait également un portrait très positif de Blücher et d'une série d'autres chefs militaires broyés par la machinerie de la terreur, mettant carrément l'accent sur le crime commis envers eux, Et le numéro d'avril de la revue Octobre signale qu'on trouvera dans une prochaine livraison un « récit documentaire » de Léon Nikouline : T ouklzatchevski. J S. STRANNIK. ( Traduit du russe)
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